mardi 3 novembre 2015

Res Gestae Divi Augusti, éditions Belles lettres


Pièce unique dans l'histoire l'antiquité romaine, les Res Gestae est un document irremplaçable sur le règne d'Auguste (30 av. J.C.-14 av J.C.) tant par le contenu historico-politique du texte que par son objectif et les informations précieuses dont il est renfermé. L'édition trilingue de cette "œuvre" parut aux belles lettres, en latin en grec et en français, nous offre une introduction et un apparat critique érudite et claire sur les différentes versions du texte, des différents débats historiographiques, qui sont le fruit des recherches de John Scheid et dont je m'appuie en grande partie pour cette présentation. Le 3 avril 19 a.p. J.C. Auguste dépose selon Suétone quatre documents auprès des Véstales. Deux codices composants sont testament privé et trois uolumina scellés. Les Res Gestae concernent le deuxième uoluminen, qui est lu par Drusus, le fils de Tibère, et narrant de manière autobiographique les gestes et faits accomplit durant le principat par Auguste en faveur du Peuple romain. On pense dans une relative mesure que la composition et l'exécution des Res Gestae aurait pu être entrepris d'une traite à la fin de la vie d'Auguste bien qu'aucune preuve indéniable en faveur de cette thèse n'est pu être révélée jusqu'à ce jour. Selon certains, Auguste aurait sûrement dicté ses Res Gestae à ses secrétaires qui se sont occupées de la mise en forme finale du texte. GL. Bowersock a suggéré une autre possibilité de composition celle où les secrétaires de l'empereur lui auraient soumis le plan d'un texte auquel Auguste, Tibère ou Livie l'épouse d'Auguste, leur avait auparavant résumé ce qui devait y figurer. Auguste s'occupant alors de relire ou rectifier certaines choses, ajoutant donc sa touche personnelle. Ce texte par ailleurs, composé sans toute vraisemblance entre 9 et 13 a.p. J.C., est un texte dont la matière et sa fonction principale ont aussi posés problème aux chercheurs. Mommsen (1887) avait conclut qu'il s'agissait d'un compte rendu justificatif de ses actes politiques. J. Bergmann (1884) et E. Bormann (1896) ont proposé de regarder ce texte comme un éloge funéraire mais cette supposition a été invalidé par E. Kornemann en 1921. Wilamowitz (1886) a vu dans les Res Gestae, en las comparant à l'inscription de l'Empereur Hadrien dressé au Panthéon d'Athènes du vivant de l'empereur, la justification de l'apothéose prochaine d'Auguste auquel W. Weber (1936) a magnifié une vision de l'empereur artiste montrant sa volonté de pouvoir caractérisant des tensions intérieurs d'Auguste et la mesure de l'homme politique ayant refréné ses passions. Vision qui reste, contenu de la vision de Weber et de l'époque de ses remarques, idéologique. On considère aujourd'hui les Res Gestae comme la forme d'une auto-représentation épigraphique, chronique des faits et actes effectués par l'empereur, de sa conduite envers le peuple romain, des honneurs reçus, de la sauvegarde du régime républicain par une véritable conscience politique soucieuse de respecter les institutions de la République, pour le moins en apparence. On est alors en face d'un document politique particulier, justification du pouvoir principat et de son modèle idéologique. 
     Le texte s'ouvre sur un titre ou préambule et où le peuple romain tient une place centrale, Auguste ayant accomplit ses actes essentiellement pour la gloire de la République romaine et de son peuple. Le texte, assez court (270 lignes), débute en I. 1 par l'année 44 av J.C. plus précisément octobre 44 lors des 19 ans d'Octavien futur Auguste et au moment de la dernière phase de la guerre civile qui donne un dernier coup de grâce à la République romaine. Dès le début, Auguste tente de maintenir la fiction d'une République sauvée par lui et qui était mise en péril par ses adversaires, les "césaricides". Le sénat lui accordant l'imperium, lors des décrets du 1er janvier 43 av J.C. (chap.1.1), un sur l'adlectio parmi les questoriens et un sur le droit de donner son avis parmi les consuls ainsi que son élection en tant que consul par le peuple et triumvir avec Marc Antoine et Lépide qui est officialisé par la loi Lex Titia voté par les comices. Auguste fut consul sans interruption de 31 à 23. Le consulat revêtait alors un fonction symbolique. Il est à remarquer qu'au chapitre 5, Auguste mentionne son refus de la dictature qui lui fut conféré par le peuple romain ainsi que par le étant. Durant la seconde partie de l'année 23 av J.C. il y eu un problème de ravitaillement en  blé ce qui occasionna une famine et des troubles dans la cité. Le peuple de Rome constatant que ce fait se passa en l'absence de l'empereur dans la fonction de consulat, il obligea le sénat à donner la dictature au princeps mais ce dernier refusa cet emploi à son retour de Rome. On peut rappeler qu'un loi Antonia créée après la mort de César, interdisait d'accepter ou de donner la dictature. On voit ici Auguste toujours soucieux de respecter les lois issues du sénat. Il accepta en revanche l'annone qui est une charge de ravitaillement de la population et cela sur ses propres deniers pouvant ainsi se poser comme il le dit, en libérateur de la cité et en comme l'homme rétablissant l'ordre à Rome par un soucis du bien commun. Le chapitre 6 est du me acabit, Auguste y rappelle qu'il a refusé d'être seul curateur des lois Juliennes de 18-17 av J.C. qui l'aurait mit dans la situation d'un monarque en bon et dû forme, préférant alors se mettre en accord lors de ses interventions avec les pouvoirs des tribuns de la plèbe, démarche qu'il fit lui-même. La puissance tribunicienne devient alors ce sur quoi son pouvoir va s'affirmer car elle lui permet de réunir le sénat et les comices, lui apportant un droit de veto sur les décisions prises par ces institutions, tout en obtenant l'imperium proconsulaire supérieur à celui des gouverneurs et l'octroie de la sacro-sainteté (chap. 10). En 19 av J.C., en recevant la puissance consulaire à vie, munit d'un imperium qu'il peut exercer à l'intérieur du pomerium de Rome ce qui est contraire justement à la tradition romaine qui veut qu'aucune force militaire ne pénètre dans Rome. 
     Dans les Res Gestae on insiste plutôt sur la sauvegarde des institutions républicaines qui en effet continuent à fonctionner sous Auguste bien qu'elles ne soient qu'une fiction d'une préservation ou restauration de la République (voir chap. 8. 1,2; chap. 9. 1 ; chap. 10. 1; chap. 11; chap.12.1). Le sénat subsiste, à toujours un rôle central tout en ayant une influence politique rognée. Auguste a en fait la main mise sur le sénat, dont il influe sur son fonctionnement en nommant lui-même des postes de gouverneurs pour réorganiser ou plutôt organiser l'empire. Ce que bien sûr, dans les Res Gestae, le princeps passe sous silence, préférant mettre en avant les charges et honneurs qui lui sont octroyés par le sénat lui-même. Au chapitre 8. 1,2, Auguste rappelle sa révision de la liste des sénateurs, la Lectio senatus, par la suite les sénateurs lui accordent le titre de princeps senatus. Les sénateurs rayés de la liste étaient ceux qui avaient été nommés par les triumvirs, possiblement hostiles à Auguste ou ne remplissant pas toutes les conditions pour pouvoir siéger au sénat. Le cursus honorum lui-même est au fur et à mesure sous la houlette de l'empereur qui peut coopter certains candidats à la magistrature bien que les élections soient toujours le principe électif principal pour cette investiture. Le chapitre 7. 1, où Auguste se présente comme le refondateur de la République et prince du sénat tout en passant sous silence la caractère spécifique de cet honneur car non seulement Auguste se place alors comme "Premier des citoyens" et premier des sénateurs ayant donc atteint les honneurs les plus élevés, qui a prééminence sur le sénat et qui est donc celui qui dirige la politique romaine. Il y a donc accumulation des pouvoirs par une seule personne. le culte qui lui est conféré de son vivant marque aussi un détachement par rapport aux rites républicains (chap. 10. 1) le nom d'Auguste inclus dans l'hymne salien, son surnom d'Augustus, ainsi que la célébration de son genius par le sénat qui en 12 av J.C. décide de l'unir au culte des Lares. La paix du règne du princeps est aussi mise en avant et donne l'occasion à Auguste de se poser comme un pacificateur, ayant rétablit la paix après les guerres civiles et établissant la concorde entre les citoyens au sein de la cité. Idéologie du pouvoir de l'empereur sensé initier l'idée que le princeps et le principat garantissent la paix et donc rendent légitime la forme spécifique de gouvernance qu'elle requière. Au chapitre 13, Auguste fait mention que sous on règne les portes du temple de Janus, signifiant que la cité est en paix, ont été fermées à trois reprises, en 29, 25 et 10 av J.C., ce qui n'avait été effectué qu'à deux reprises avant lui dans l'histoire romaine. Autre fait marquant est la ara Pacis Augustae romaine, monument devenu un culte construit à partir de 13 av J.C. sur le champ de Mars, sous l'initiative du sénat pour symboliser le retour de l'empereur le 4 juillet d'un voyage de trois ans en Occident, et qui est dédié le 30 janvier av J.C. qui est le jour anniversaire de Livie. Il faut bien avoir à l'esprit que la "paix" est surtout dans l'Urbs et non dans l'empire romain marqué par différentes conquêtes plus ou moins faciles comme par exemple le désastre de Varus en 9 apr. J.C. mais elles sont le plus souvent victorieuses et qu'Auguste magnifie tout comme le traitement accordé aux vétérans de terres après leurs service dans l'armée ou encore ses dépenses en blé en direction de la plèbe frumentaire ou de rétributions des soldats, différentes constructions ou restaurations de monuments comme la Curie ou le Chacidium, le temple d'Apollon, celui de Jules César son père adoptif, etc. On y a vu un ordre chronologique des distributions mais aussi un ordre en importances de rang (Weber 1936, Kobbe 1939) entre plèbe urbaine et romaine et colonies de vétérans et citoyens romains, avec en dernier la plèbe frumentaire. 
     On peut constater aussi la mise en lumière de la part des rédacteurs et du princeps de l'effort fourni par celui-ci dans la restauration et construction de lieux culturels et cultuels ou simplement d'infrastructures de la ville. Ainsi au chapitre 20. 1. le Capitole et le théâtre de Pompée sont restaurés, de même que le théâtre d'Apollon, des aqueducs, achèvement du Forum Julium ou encore une basilique ou plus ambitieusement la restauration en 28 av. J.C. de quatre-vingt-deux temples cultuels. L'énumération des jeux offerts par le princeps constitue aussi une manière de montrer l'étendue de ses libéralités, d'une continuité avec certaines traditions républicaines comme les jeux séculaires dont ceux de 17 av. J.C. avaient été appelés les cinquièmes car ces jeux étaient célébrés tous les 110 ans. Il est intéressant de voir qu'Auguste organisa aussi le 12 mai av. J.C. une naumachie qui devait reconstituer la bataille de Salamine entre Athéniens et Perses et qui était une dédicace au temple de Mars Ultor. Le chapitre 34 est décisif dans la légitimisation du principat et de la justification des actes de son règne et la mise en place d'un pouvoir absolutiste voulu par le peuple et le sénat et qui doit être regardé comme la seule manière de pouvoir mettre un terme aux guerres civiles. C'est aussi l'avenir qui est préparé derrière par là même occasion. Avenir dynastique des Julio-Claudii sur le trône de l'empire et dont Tibère est le plus proche, au soir de la vie du princeps, d'y être intronisé. Auguste parle de "pouvoir absolu" qui a été passé à" la libre décision du sénat et du peuple romain", il se place donc dans la volonté du peuple et des institutions, il est donc foncièrement légitime et ne être remit en question sur la place qu'il a occupé dans la vie politique romaine. Lorsqu'il rappelle par cette phrase "Dès cet instant, je l'ai emporté sur tous en autorité, mais je n'ai jamais eu de pouvoir légal supérieur à celui de chacun des autres magistrats, mes collègues.", Scheid dans son commentaire du paragraphe saisit bien que d'un point du vue formellement institutionnelle, Auguste n'occupe pas une place plus importante que les autres (Agrippa ou Tibère) dans la magistrature ou de l'imperium il est était au-dessus d'eux quant au prestige que représentait sa personne. Jusqu'au bout Auguste à suivit si l'on peut dire les recommandations du De officiis de Cicéron ouvrage concernant le bon exercice du pouvoir et dans lequel la tyrannie était formellement proscrit, privilégiant avant tout une politique centrée principalement sur le gouvernement et l'administration des entreprises civiles plutôt que sur ceux concernant le militaire (Testard). Auguste a été, on en doute plus aujourd'hui, influencé par les prescriptions de cet ouvrage qui a sûrement aidé à conceptualiser le genre de régime que l'on nomme le Principat.

J. Scheid, Res Gestae Diui Augusti. Hauts Faits du Divin Auguste, Paris, Les Belles Lettres 2007, 560 p., 49,70 euros

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