mardi 17 octobre 2017

"La lue", poème tiré du recueil "U floc de poésies", Jean-Baptiste Bégarie (1892-1915), poète béarnais mort pour la France


 version occitane
LA LUE
« 0 Lue ! quau nèn haroulè
Mey que tu cour las galihorces,
Quoan dab lou gran sourelh, au soum dou tou soulè,
E hès à las estorces ?  »

En balles ! L'arcast ni lou hèu
Acera n'esmaboun la lue.
D'escarnes qu'aleba moun co, coume u bourrèu
De qui-n hounce la pue.

Ouaucop lou plasè 'sbarluèc
De-ns ha tatès que l'arrougagne ;
E lunan darrè-u broulh, coum lou mounard trufèc,
D'arrîde s'escarcagne.

Quaucop tabé gaytan, s'ou pouy,
Dou cèu brusla-s la blue rase,
Que bedém eslita-s, bère dab sou cap couy,
Nouste lue de case.

Qu'arròdie coume u bòlou d'or,
Regan tout dous l'estéle yaune,
Sauneyàyres luècs au cerbèt de biscor,
Que la boulém ta daune.

Que bòlie sous calots de nèu,
Coum lou cap d'u taure cournude,
Lou nèn enlusernat, acatan lou ridèu
Dou brès, que la salude.

U sé yoenin, au cèu bluard,
Lou bòlou d'or hasè hielade,
Cusmeran lous arrays en u baram escarp :
Qu'ère u bèt sé de hade.

Lou lugra s'esTîupabe au glap
De las pesquitetes choalines.
h la lue courrè, chens da nat tume-cap.
Débat de las peyrines

L'oelh briac, que dechàbi 'n l'arriu
La loue danse briuleyante,
Quoan ue estéle au cèu, eslinchan coume u hiu,
E cadou per la cante.

Qu'ère u brouch. Sa bergue d'arèu
Qu'abè lusit en l'escuradc...
Que bedouy, lusent d'oelhs, u perrac de camèu
Segui la me peytade...

Traduction française

LA LUNE

« O Lune, quel gamin folâtre — plus que toi court
les ravins — lorsque sur le champ de ta voûte, — tu
joûtes avec le soleil géant ? »

En vain ! Le reproche, ni le grief là-bas n'ont point
ému la lune ; — de sarcasmes moqueurs elle a blessé
mon coeur, tel un bourreau — qui enfonce le dard.

Parfois, le plaisir étrange — de nous faire des niches
l'irrite ; — et, nous épiant derrière le nuage, comme
le singe moqueur, — elle pouffe de rire.

Parfois encore, regardant par dessus le puy — se
consumer la bure bleue du ciel, — nous voyons se glisser,
belle avec sa tête chauve, — la lune de chez nous.

Qu'elle roule comme un globe d'or, — frôlant légèrement
l'étoile jaune, — rêveurs lunatiques, au cerveau
bizarre, — nous la voulons pour dame.

Qu'elle vole sur les cimes neigeuses — encornée
comme un taureau, — l'enfantelet ébloui, écartant le
rideau — du berceau, la salue.

Un soir de ma jeunesse, au ciel bleuâtre, — le globe
d'or semblait filer de la laine, — pelotonnant les
rayons en un halo léger : — c'était un beau soir d'enchantement !

L'étoile glissait, fuyant la morsure — des petits poissons
doucereux, — et la lune courait sans donner de la
tête — contre les pierres.

L'œil enivré, j'abandonnais dans le ruisseau — leur
danse sautillante, — lorsqu'un astre glissant du ciel
comme un fil, — vint tomber sur la rive.

C'était un sorcier. Sa verge de houx — avait lui
dans l'obscurité... — Je vis un fantôme informe de
chameau, les yeux ardents, — suivre ma fuite...

Jean-Baptiste Bégarie, U floc de poésies [Texte imprimé] : texte béarnais avec traduction française, éd. Libiè de l'Escole Gastou Febus, 1930, 83 p.

samedi 14 octobre 2017

Léon Bloy, Un brelan d'excommuniés, (1889)



Brelan : n. m. (haut all. bretling, table). Réunion de trois cartes de même valeur, au poker. Un brelan d'as. (Le petit Larousse illustré, 1995). 

Ces trois "cartes" ou, à coup sûr, ces "trois as" littéraires! ont pour noms : Jules Barbey d'Aurevilly, Ernest Hello, Paul Verlaine. "Trois as" marqués par l'excommunication de la "conspiration du silence" et siégeant, comme la fraîche colombe nimbée de lumière et immaculée de la pureté inconditionnelle du génie, sur le fumier himalayesque du monde contemporain ; monde trois fois lépreux, charriant chaque jour que Dieu fait sa médiocrité sacerdotale, celle des honnêtes gens, - le pire cauchemar de Bloy - , des bien-pensants, des pleutres claquemurés depuis cinq cents ans dans la fange du conformisme catholique, des indifférents, des inconscients, de ceux qui ne veulent pas, ne peuvent pas, ne peuvent plus, voir le Christ sanglant sur la Croix, ce sang, ruisseau interstellaire et toujours coulant irrésistiblement de l'Amour de Dieu, et dont l'univers entier est trempé. Excommuniés parce que vivants, tremblants encore devant le mystère, habitants la vision du Mal, en n'en fouillant parfois les entrailles, baignant de cette absolue nécessité d'être violenté par l'absolu, principe de l'être existant de l'esprit, par l'esprit, jusque dans les profondeurs abyssales du Moi. 

Exister. 

Trois artistes plongés dans les limbes du silence, ce silence d'une netteté formidable de la part de la bien-pensance catholique de l'époque, si formidable et commune, et qui est, avec la crachat et l'insulte, la récompense que le néant ne trouve qu'à donner à la grandeur, aux plus hautes manifestations de la vie de l'être, aux plus clairvoyantes ombres de la vie transcendantale de l'âme, s'exfiltrant aussi bien de l'ombilic du Mal que de l'instinctive poussée de cette propre âme à l'appel du Ciel Bienheureux de l’Époux et à l'espérance.

Trois artistes. Une faute.

Il fallut être bien supérieur soi-même pour un attachement aussi virile. Au-travers de ces trois figures infernales pour le commun ecclésial de l'époque, Bloy veut rendre justice à l'Art, à l'artiste, justice qu'il crie aussi pour  lui-même, ce pèlerin de l'absolu comme il aimait se surnommer. Bloy, le plus infernal styliste de la littérature française. Ce pourrait-il que L'Église se souvienne encore de ces trois enfants sublimes qui ne l'ont pas oublié? Telle doit être la promesse de ce livre pour que se réalise invariablement, logiquement, révérencieusement, ces mots de Hello tirés de la préface à sa Physionomie des saints :"C'est en vain que le  monde s'écroule. L'Église compte ses jours par ses fêtes. Elle n'oubliera pas un de ses vieillards, pas un de ses enfants, pas une de ses vierges, pas un de ses solitaires. Vous la maudissez. Elle chante. Rien n'endormira et rien n'épouvantera son invincible mémoire." Espérons qu'elle garde encore pour les siècles à venir la mémoire de ses artiste.

Léon Bloy, Un brelan d'excommuniés, L'Herne éd., coll. carnets de l'herne, Paris, 2012, 104 p.

vendredi 6 octobre 2017

Avant-propos, Histoire de France, Ernest Lavisse (1911)

Avant-propos de l'Histoire de France depuis les origines jusqu'à la Révolution du patriote de La ligue française :

"L'histoire d'un peuple est inséparable de la contrée qu'il habite. On ne peut se représenter le peuple grec ailleurs qu'autour des mers helléniques, l'Anglais ailleurs que dans son île, l'Américain ailleurs que dans les vastes espaces des États-Unis. Comment en est-il de même du peuple dont l'histoire s'est incorporée au sol de la France, c'est ce qu'on a cherché à expliquer dans ces pages.

     "Les rapports entre le sol et l'homme sont empreints, en France, d'un caractère original d'ancienneté, de continuité. De bonne heure les établissements humains paraissent y avoir acquis de la fixité; l'homme s'y est arrêté parce qu'il a trouvé, avec les moyens de subsistance, les matériaux de ses constructions et de ses industries. Pendant de longs siècles il a mené ainsi une vie locale, qui s'est imprégnée lentement des sucs de la terre. Une adaptation s'est opérée, grâce à des habitudes transmises et entretenues sur les lieux où elles avaient pris naissance. Il y a un fait que l'on a souvent l'occasion de remarquer en notre pays, c'est que les habitants se sont succédé de temps immémorial aux mêmes endroits. Les niveaux de sources, les roches calcaires propices à la construction et à la défense, ont été dès l'origine des nids d'attraction, qui n'ont guère été abandonnés dans la suite. On voit, à Loches, le château des Valois s'élever sur des substructions romaines, lesquelles surmontent la roche de tuffeau percée de grottes, qui ont pu être des habitations primitives.

Ernest Lavisse
     "L'homme a été, chez nous, le disciple longtemps fidèle du sol. L'étude de ce sol contribuera donc à nous éclairer sur le caractère, les mœurs et les tendances des habitants. Pour aboutir à des résultats précis, cette étude doit être raisonnée; c'est-à-dire qu'elle doit mettre en rapport l'aspect que présente le sol actuel avec sa composition et son passé géologique. Ne craignons pas de nuire ainsi à l'impression qui s'exhale des lignes du paysage, des formes du relief, du contour des horizons, de l'aspect extérieur des choses. Tout au contraire. L'intelligence des causes en fait mieux goûter l'ordonnance et l'harmonie.

     "J'ai cherché à faire revivre, dans la partie descriptive de ce travail, une physionomie qui m'est apparue variée, aimable, accueillante. Je voudrais avoir réussi à fixer quelque chose des impressions que j'ai éprouvées en parcourant en tous sens cette contrée profondément humanisée, mais non abâtardie par les œuvres de la civilisation. L'esprit y est sollicité par la réflexion, mais c'est au spectacle tantôt riant, tantôt imposant de ces campagnes, de ces monts et de ces mers qu'il est sans cesse ramené comme à une source de causes."

mardi 3 octobre 2017

Le trésor des humbles (1896), de Maurice Maeterlinck

 Quelle est la vie de l'âme? On s'interroge encore, et ce, depuis des siècles et des siècles et pourtant, mais comme il est spécifié dans le livre de Maeterlinck, il ne faudrait rien dire, rien dire jusqu'à la fin des siècles. Comme il ne peut rien se dire du destin d'un amour éternel, des traits bouleversants de l’extase de la Madeleine de Caravage, de l'antique beauté de la liturgie romaine, de la musique de Bach, des regards échangés de deux amis, du pressentiment du destin d'un être, de chaque être, etc. L'âme peut se poser en toute chose, se nourrissant essentiellement d'elle-même, elle engage pour l'être humain ce chemin gorgé de lumières et d'abysses où l'on semble se perdre seulement pour s'ancrer sur l'infinité du lieu où tous les mondes possibles de l'être peuvent s'engendrer, où le Moi n’entrouvre ses entrailles à l'esprit que pour lui faire sentir qu'il n'est qu'un trait particulier de l'âme plongé dans une obscurité qui n'est que le reflet de lui-même. Pour appréhender ce lieu, notre auteur nous fait bien comprendre qu'il faut être adepte du silence, un disciple du silence, un martyr festif du silence, de cette parole qui est le vrai dire de l'âme et qui recèle sa vie même, sa manifestation ordinaire, sa présence inéluctable.  La vraie communion des âmes se fait par et dans le silence, cette lumière des êtres qui dépasse toutes les manifestations consciente de notre nature.

"Rien n'est visible et cependant nous voyons tout." dit Maeterlinck dans le chapitre Les avertis. Personnellement, je dirais l'inverse de cette phrase : tout est visible et cependant nous ne voyons rien. Tout est posé devant nous, nous voyons, mais savons-nous vraiment ce que nous voyons? Il faudrait sentir, intuitionner, au-delà de la pensée et du langage l'origine et le destin de chaque chose vue. Le silence doit être une révélation à la vision et non une opacité du mystère, à l'étrangeté de soi ou d'autrui. Et Le trésor des humbles (1896), ce livre de la permission à l'au-delà de la pensée, de la splendeur des abysses indescriptibles de la vie de l'âme, de l'angoisse de l'infinitude de la beauté, nous aide à tâtonner, ici et là, dans le gouffre indicible de nous-même. Ce livre a certains accents d'un autre esprit très pénétrant de la vie de l'âme, je fais référence à Gustave Thibon et à des ouvrages comme Ce que Dieu a uni où les ressorts les plus mystérieux et profonds de la nature humaine sont appréhendés sous l'angle d'une pensée chrétienne.

Je propose ici quelques extraits tirés du livre de Maeterlinck et propices à méditations:

"Nous vivons à côté de notre véritable vie et nous sentons que nos pensées les plus intimes et les plus profondes même ne nous regardent pas, car nous sommes autre chose que nos pensées et que nos rêves. Et ce n'est qu'à certains moments et presque par distraction que nous vivons nous-mêmes. Quel jour deviendrons-nous ce que nous sommes?" (p. 47)

"Il est certain que les relations naturelles et primitives d'âme à âme sont des relations de beauté. La beauté est le seul langage de nos âmes... Elles n'en comprennent pas d'autres. Elles n'ont pas d'autre vie, elles ne peuvent produire autre chose, elles ne peuvent pas s'intéresser à autre chose. Et c'est pourquoi, toute pensée, toute parole, tout acte grand et beau est immédiatement applaudi par l'âme la plus opprimée et la plus basse même, s'il est permis de dire qu'il y ait des âmes basses. Elle n'a pas d'organe qui la relie à un autre élément et elle ne peut juger que selon la beauté. Vous le voyez à chaque instant dans votre vie ; et vous même, qui avez renié plus d'une fois la beauté, vous le savez aussi bien que ceux qui la cherchent sans cesse dans leur cœur." (p. 175)

"Or, ne l'oublions pas, nous sommes ici sur des montagnes où s'ignorer n'est pas tout simplement ne pas savoir ce qui arrive en nous quand nous sommes amoureux, timides ou envieux, heureux ou malheureux. S'ignorer, où nous sommes, c'est ignorer ce qui se passe de divin dans les hommes. Nous sommes laids quand nous nous éloignons des dieux qui sont en nous ; et nous devenons beaux à mesure que nous les découvrons. Mais nous ne trouverons le divin dans les autres qu'en leur montrant d'abord le divin dans nous-mêmes. Il faut que l'un des dieux fasse signe à l'autre dieu ; et tous les dieux répondent au plus imperceptible signe." (p. 180)

"Je disais tout à l'heure qu'elle transforme en beauté les petites choses qu'on lui donne. Il semble même, à mesure qu'on y songe qu'elle n'ait pas d'autre raison d'être, et que toute son activité s'emploie à réunir au fond de nous un trésor de beauté qu'on ne peut pas décrite. Est-ce que tout ne se changerait pas naturellement en beauté si nous ne venions pas troubler sans cesse le travail obstiné de notre âme?" (p. 182) 

Maurice Maeterlinck, Le trésor des Humbles, Grasset, coll. Les cahiers rouges, 2008, 196 p.


lundi 18 septembre 2017

André Gide, Morale chrétienne, Journal, 1896, pléiade, p. 96

"Je m'étonne que le protestantisme, en repoussant les hiérarchies de l'Église, n'ait pas repoussé du même coup les oppressantes institutions de saint Paul, le dogmatisme de ses épîtres, pour ne relever plus que des seuls Évangiles. On en viendra bientôt, je pense, à dégager les paroles du Christ, pour les laisser paraître plus émancipatrices qu'elles ne le paraissent jusqu'alors. Moins ensevelies, elle paraîtront plus dramatiquement, niant enfin la famille (et l'on s'autorisera de cela pour la supprimer), tirant l'homme lui-même de son milieu pour une carrière personnelle et lui enseignant par son exemple et par sa voix à n'avoir plus de possessions sur la terre, plus de lieu où reposer sa tête. O avènement de cet "état nomade", toute mon âme te souhaite! où l'homme, sans foyer clos, ne localisera pas plus son devoir ou son affection que son bonheur, sur tels êtres./J'ai beau lire et relire l'Évangile, je ne vois pas une seule parole du Christ dont se puisse fortifier, et même autoriser, la famille, le mariage. J'en trouve au contraire qui le nient... "C'est à cause de la dureté de vos cœurs...", dit le Christ parlant des anciennes lois éducatrices de Moïse sur le divorce, qu'impliquaient celles du mariage. La levée de chaque disciple est enlèvement à sa famille; par respect filial, l'un d'eux veut, avant de suivre Jésus, ensevelir son père : "laisse les morts ensevelir les morts", lui dit le Maître. "Qui est ma mère et qui sont mes frères?" répond-il lorsqu'on lui dit que sa mère et ses frères sont venus pour le voir, et montrant tous ceux qui l'écoutent : "Voilà, ajoute-t-il, voilà ma mère et mes frères."