Arthur Yasmine est un poète né au début des années 90 à Paris. Il entretient avec la poésie un lien passionné sous fond de rupture et de réconciliation. C’est en marchant à contre courant des diktats du système professionnel et moderne et, comme l’indique la quatrième de couverture, après une « rupture », qu’il prit conscience de sa vocation entre 2011 et 2013, conséquence de la nature de l’être du véritable poète.

Les Clameurs de la Ronde (2015), premier essai d’un jeune homme qui mérite toute notre attention, livre hétéroclite, pressé, morcelé, retrace sept années d’écriture où différents styles se succèdent et caractérisent l’affermissement d’une personnalité en train d’éclore. Poète de l’éclair et éclaireur par là même sur un symptôme de notre époque dont l’Avis au lecteur ne laisse guère d’ambiguïté. « – Pour quel éclair, hein? » (p. 9) et plus loin « Écrire à nouveau. Vivre encore. — Être poète. — Pour tout ça. » (ibid.)

Une écriture à l’encre de feu

L’éclair est facteur d’ignition, d’éblouissement, ainsi que paradoxalement, d’éclairage. Éclairage qui permet de combattre cette possible mort de la Poésie par l’éclair, poésie qui doit renaître par l’acte poétique, l’acte qui est tout feu, renaître ainsi de ses cendres. L’Invocation à la Jeune Morte (p. 13) est déjà marquée par cette volonté d’extirper par le souffle poétique la jeune et éternelle poésie à la vacuité de notre condition et de nos considérations d’hommes modernes, et revivifier l’accent dionysiaque du dramatique par la vie, l’amour, la joie, la danse, la mélancolie, l’acte créateur. On sent là tout le goût de l’antique, l’attention à la forme, au genre fragmentaire, rhapsodie, élégie, lettre, sonnet, alternance prose et vers, etc. C’est aussi un chant d’invocations, un appel à la manifestation, aux hommages rendus aux divinités (Mercure, Séléné). Il y a une certaine audace à refaire la naissance d’Aphrodite, qui prend vie par le poème, par le pneuma qui est souffle de vie, action première de la naissance du monde. « Surgie des spirales, par la panique du sperme/Et du sang, par la détresse du Ciel au sexe/Sectionné, la Déesse jaillit du poème » (Ciel et temps, p. 68).
« Ressusciter » la poésie c’est aussi signifier la résidence en une autre patrie, un autre monde, le seul et véritable monde, idéal dont toute vérité est liée à la sensation vertigineuse du vivre, de l’exaltation, de l’émerveillement du vivant. Ce grisement d’être, éternelle interrogation, éternel mystère qui se cache lorsque nous voulons l’inspecter et qui pourtant se dévoile dans l’émotion, l’effusion, le dire toujours brûlant du poète. Et il y a ces termes, « giration », « spirale », « tournoyait », « chaos supérieur »  (Les disputes avec Zoé) ou encore ce « Nœud d’arabesques » (Sonnet pour une bonne nuit, p. 36), l’amour, le rêve, sont aussi des sortes de chaos, de fugacités, des fièvres, étreintes de corps, étreintes aussi du poète avec l’imaginaire. Mais de là peut jaillir la beauté classique, sculptée, figée de l’objet aimé « Toute une mémoire pour tes reins creusés par la sueur, pour nos corps dansant l’un contre l’autre, pour tes lèvres, pour ta langue vulgaire, pour ton charme de statue, pour la garce, pour la grâce. Toute une mémoire pour toi qui t’agaces et moi qui compte depuis le début… Combien de sculptures peut-on dédier à ton visage éperdu? » (E., p. 46)

Résurgence de la fonction du poète

Pour Arthur Yasmine, la poésie c’est la lumière, ce qui est « solaire ». Le poète est celui qui se donne au soleil, au feu, au sang bouillant, qui va du bas vers le haut, pour réveiller le sommeil des Muses (Adieux aux Muses), ce sommeil moderne toujours se repaissant de son obscurité. La Lettre sur l’animalité (p. 38) est très intéressante car elle nous offre les considérations du poète sur son monde, sur sa génération qu’il n’épargne pas, avec des accents quelque peu moralistes, pointant au passage l’esprit de masse, le culte du matérialisme et l’hypersexualisation des relations interpersonnelles basées sur la consommation de l’autre, sur l’intérêt le plus prosaïque et égocentré. En d’autres termes, l’aliénation à laquelle notre société, promouvant le leitmotiv du a good time et de l’amollissement des forces les plus salutaires de l’être, peut nous entraîner. Les faux semblants, les postures de pseudo-créateurs, autre maladie de notre époque, sont aussi fustigés et à juste titre. « Ils se disent artiste parce qu’ils boivent, parce qu’ils touchent un peu de drogue, parce qu’ils sont pessimistes… C’est juste pour se donner de la valeur… Ils se disent artistes parce qu’ils ont un peu de culture… Leurs références, c’est quoi ? Jamais au-delà du XIXe … » (p. 39)
À travers le poète maudit, marginalisé par choix et par conséquence, se trouve celui qui a conscience de faire partie d’une caste particulière et ancestrale, faite de frères en esprit et en malheur, travaillant à côté de leur époque à ouvrir et découvrir les trésors profonds de l’être. Le style est là, toujours exalté, un peu trop parfois, mais on sent toute une blessure qui est d’ordre esthétique et éthique, qui se met à jour, nue, comme pour mieux signifier, séparer, différencier, hiérarchiser, ce monde et un autre. Arthur Yasmine nous rappelle au devoir du poète non pas tellement par l’explication du « dire » mais par ce que montre ce « dire », brut et poignant, travaillé et éclaté, vivant et allant vers l’inconnu, celui de l’écriture et de soi, et cela avec un certain brillant. Le fameux Message aux éditeurs de poésie française (p. 77) est une sorte de manifeste à la fonction du poète et de son chant, celui qui va dans le suc de la vie au travers de toutes ses expériences. Et, comme il nous l’indique dans ce Message, ses deux  pièces à la fin du recueil intitulées « Les Adieux » donnent le départ d’un renouveau de soi et de la poésie par une forme antique qu’est la rhapsodie, pour ainsi renouer avec l’élan dionysiaque du tragique. « Mettre en œuvre le rapiècement tragique de quelque unité, en un temps où le désœuvrement est général, en un temps où l’on peut se trouver en proie au plus noir des morcellements, voilà ce que font mes rhapsodies. » (p. 78)
Bref, comme le voyait Schopenhauer, la réaction contre le « progrès »comme marqueur du progrès humain, ce livre en est une illustration. C’est encore jeune, inachevé, mais prometteur. L’auteur accomplira plus tard l’entier mouvement harmonique de la lyre. Il reste une œuvre à faire et un monde à réaliser. C’est le travail d’une minorité de forçats du beau mais qui ne doivent pas l’effectuer chacun dans son coin. Il faut plusieurs éclairs, répartis en des localités différentes mais se répondant, pour provoquer un orage.

Les Clameurs de la Ronde
Arthur Yasmine
Carnet d’Art éditions
ISBN : 979-10-93001-02-9
http://www.arthuryasmine.com