mardi 17 octobre 2017

"La lue", poème tiré du recueil "U floc de poésies", Jean-Baptiste Bégarie (1892-1915), poète béarnais mort pour la France


 version occitane
LA LUE
« 0 Lue ! quau nèn haroulè
Mey que tu cour las galihorces,
Quoan dab lou gran sourelh, au soum dou tou soulè,
E hès à las estorces ?  »

En balles ! L'arcast ni lou hèu
Acera n'esmaboun la lue.
D'escarnes qu'aleba moun co, coume u bourrèu
De qui-n hounce la pue.

Ouaucop lou plasè 'sbarluèc
De-ns ha tatès que l'arrougagne ;
E lunan darrè-u broulh, coum lou mounard trufèc,
D'arrîde s'escarcagne.

Quaucop tabé gaytan, s'ou pouy,
Dou cèu brusla-s la blue rase,
Que bedém eslita-s, bère dab sou cap couy,
Nouste lue de case.

Qu'arròdie coume u bòlou d'or,
Regan tout dous l'estéle yaune,
Sauneyàyres luècs au cerbèt de biscor,
Que la boulém ta daune.

Que bòlie sous calots de nèu,
Coum lou cap d'u taure cournude,
Lou nèn enlusernat, acatan lou ridèu
Dou brès, que la salude.

U sé yoenin, au cèu bluard,
Lou bòlou d'or hasè hielade,
Cusmeran lous arrays en u baram escarp :
Qu'ère u bèt sé de hade.

Lou lugra s'esTîupabe au glap
De las pesquitetes choalines.
h la lue courrè, chens da nat tume-cap.
Débat de las peyrines

L'oelh briac, que dechàbi 'n l'arriu
La loue danse briuleyante,
Quoan ue estéle au cèu, eslinchan coume u hiu,
E cadou per la cante.

Qu'ère u brouch. Sa bergue d'arèu
Qu'abè lusit en l'escuradc...
Que bedouy, lusent d'oelhs, u perrac de camèu
Segui la me peytade...

Traduction française

LA LUNE

« O Lune, quel gamin folâtre — plus que toi court
les ravins — lorsque sur le champ de ta voûte, — tu
joûtes avec le soleil géant ? »

En vain ! Le reproche, ni le grief là-bas n'ont point
ému la lune ; — de sarcasmes moqueurs elle a blessé
mon coeur, tel un bourreau — qui enfonce le dard.

Parfois, le plaisir étrange — de nous faire des niches
l'irrite ; — et, nous épiant derrière le nuage, comme
le singe moqueur, — elle pouffe de rire.

Parfois encore, regardant par dessus le puy — se
consumer la bure bleue du ciel, — nous voyons se glisser,
belle avec sa tête chauve, — la lune de chez nous.

Qu'elle roule comme un globe d'or, — frôlant légèrement
l'étoile jaune, — rêveurs lunatiques, au cerveau
bizarre, — nous la voulons pour dame.

Qu'elle vole sur les cimes neigeuses — encornée
comme un taureau, — l'enfantelet ébloui, écartant le
rideau — du berceau, la salue.

Un soir de ma jeunesse, au ciel bleuâtre, — le globe
d'or semblait filer de la laine, — pelotonnant les
rayons en un halo léger : — c'était un beau soir d'enchantement !

L'étoile glissait, fuyant la morsure — des petits poissons
doucereux, — et la lune courait sans donner de la
tête — contre les pierres.

L'œil enivré, j'abandonnais dans le ruisseau — leur
danse sautillante, — lorsqu'un astre glissant du ciel
comme un fil, — vint tomber sur la rive.

C'était un sorcier. Sa verge de houx — avait lui
dans l'obscurité... — Je vis un fantôme informe de
chameau, les yeux ardents, — suivre ma fuite...

Jean-Baptiste Bégarie, U floc de poésies [Texte imprimé] : texte béarnais avec traduction française, éd. Libiè de l'Escole Gastou Febus, 1930, 83 p.

samedi 14 octobre 2017

Léon Bloy, Un brelan d'excommuniés, (1889)



Brelan : n. m. (haut all. bretling, table). Réunion de trois cartes de même valeur, au poker. Un brelan d'as. (Le petit Larousse illustré, 1995). 

Ces trois "cartes" ou, à coup sûr, ces "trois as" littéraires! ont pour noms : Jules Barbey d'Aurevilly, Ernest Hello, Paul Verlaine. "Trois as" marqués par l'excommunication de la "conspiration du silence" et siégeant, comme la fraîche colombe nimbée de lumière et immaculée de la pureté inconditionnelle du génie, sur le fumier himalayesque du monde contemporain ; monde trois fois lépreux, charriant chaque jour que Dieu fait sa médiocrité sacerdotale, celle des honnêtes gens, - le pire cauchemar de Bloy - , des bien-pensants, des pleutres claquemurés depuis cinq cents ans dans la fange du conformisme catholique, des indifférents, des inconscients, de ceux qui ne veulent pas, ne peuvent pas, ne peuvent plus, voir le Christ sanglant sur la Croix, ce sang, ruisseau interstellaire et toujours coulant irrésistiblement de l'Amour de Dieu, et dont l'univers entier est trempé. Excommuniés parce que vivants, tremblants encore devant le mystère, habitants la vision du Mal, en n'en fouillant parfois les entrailles, baignant de cette absolue nécessité d'être violenté par l'absolu, principe de l'être existant de l'esprit, par l'esprit, jusque dans les profondeurs abyssales du Moi. 

Exister. 

Trois artistes plongés dans les limbes du silence, ce silence d'une netteté formidable de la part de la bien-pensance catholique de l'époque, si formidable et commune, et qui est, avec la crachat et l'insulte, la récompense que le néant ne trouve qu'à donner à la grandeur, aux plus hautes manifestations de la vie de l'être, aux plus clairvoyantes ombres de la vie transcendantale de l'âme, s'exfiltrant aussi bien de l'ombilic du Mal que de l'instinctive poussée de cette propre âme à l'appel du Ciel Bienheureux de l’Époux et à l'espérance.

Trois artistes. Une faute.

Il fallut être bien supérieur soi-même pour un attachement aussi virile. Au-travers de ces trois figures infernales pour le commun ecclésial de l'époque, Bloy veut rendre justice à l'Art, à l'artiste, justice qu'il crie aussi pour  lui-même, ce pèlerin de l'absolu comme il aimait se surnommer. Bloy, le plus infernal styliste de la littérature française. Ce pourrait-il que L'Église se souvienne encore de ces trois enfants sublimes qui ne l'ont pas oublié? Telle doit être la promesse de ce livre pour que se réalise invariablement, logiquement, révérencieusement, ces mots de Hello tirés de la préface à sa Physionomie des saints :"C'est en vain que le  monde s'écroule. L'Église compte ses jours par ses fêtes. Elle n'oubliera pas un de ses vieillards, pas un de ses enfants, pas une de ses vierges, pas un de ses solitaires. Vous la maudissez. Elle chante. Rien n'endormira et rien n'épouvantera son invincible mémoire." Espérons qu'elle garde encore pour les siècles à venir la mémoire de ses artiste.

Léon Bloy, Un brelan d'excommuniés, L'Herne éd., coll. carnets de l'herne, Paris, 2012, 104 p.

vendredi 6 octobre 2017

Avant-propos, Histoire de France, Ernest Lavisse (1911)

Avant-propos de l'Histoire de France depuis les origines jusqu'à la Révolution du patriote de La ligue française :

"L'histoire d'un peuple est inséparable de la contrée qu'il habite. On ne peut se représenter le peuple grec ailleurs qu'autour des mers helléniques, l'Anglais ailleurs que dans son île, l'Américain ailleurs que dans les vastes espaces des États-Unis. Comment en est-il de même du peuple dont l'histoire s'est incorporée au sol de la France, c'est ce qu'on a cherché à expliquer dans ces pages.

     "Les rapports entre le sol et l'homme sont empreints, en France, d'un caractère original d'ancienneté, de continuité. De bonne heure les établissements humains paraissent y avoir acquis de la fixité; l'homme s'y est arrêté parce qu'il a trouvé, avec les moyens de subsistance, les matériaux de ses constructions et de ses industries. Pendant de longs siècles il a mené ainsi une vie locale, qui s'est imprégnée lentement des sucs de la terre. Une adaptation s'est opérée, grâce à des habitudes transmises et entretenues sur les lieux où elles avaient pris naissance. Il y a un fait que l'on a souvent l'occasion de remarquer en notre pays, c'est que les habitants se sont succédé de temps immémorial aux mêmes endroits. Les niveaux de sources, les roches calcaires propices à la construction et à la défense, ont été dès l'origine des nids d'attraction, qui n'ont guère été abandonnés dans la suite. On voit, à Loches, le château des Valois s'élever sur des substructions romaines, lesquelles surmontent la roche de tuffeau percée de grottes, qui ont pu être des habitations primitives.

Ernest Lavisse
     "L'homme a été, chez nous, le disciple longtemps fidèle du sol. L'étude de ce sol contribuera donc à nous éclairer sur le caractère, les mœurs et les tendances des habitants. Pour aboutir à des résultats précis, cette étude doit être raisonnée; c'est-à-dire qu'elle doit mettre en rapport l'aspect que présente le sol actuel avec sa composition et son passé géologique. Ne craignons pas de nuire ainsi à l'impression qui s'exhale des lignes du paysage, des formes du relief, du contour des horizons, de l'aspect extérieur des choses. Tout au contraire. L'intelligence des causes en fait mieux goûter l'ordonnance et l'harmonie.

     "J'ai cherché à faire revivre, dans la partie descriptive de ce travail, une physionomie qui m'est apparue variée, aimable, accueillante. Je voudrais avoir réussi à fixer quelque chose des impressions que j'ai éprouvées en parcourant en tous sens cette contrée profondément humanisée, mais non abâtardie par les œuvres de la civilisation. L'esprit y est sollicité par la réflexion, mais c'est au spectacle tantôt riant, tantôt imposant de ces campagnes, de ces monts et de ces mers qu'il est sans cesse ramené comme à une source de causes."

mardi 3 octobre 2017

Le trésor des humbles (1896), de Maurice Maeterlinck

 Quelle est la vie de l'âme? On s'interroge encore, et ce, depuis des siècles et des siècles et pourtant, mais comme il est spécifié dans le livre de Maeterlinck, il ne faudrait rien dire, rien dire jusqu'à la fin des siècles. Comme il ne peut rien se dire du destin d'un amour éternel, des traits bouleversants de l’extase de la Madeleine de Caravage, de l'antique beauté de la liturgie romaine, de la musique de Bach, des regards échangés de deux amis, du pressentiment du destin d'un être, de chaque être, etc. L'âme peut se poser en toute chose, se nourrissant essentiellement d'elle-même, elle engage pour l'être humain ce chemin gorgé de lumières et d'abysses où l'on semble se perdre seulement pour s'ancrer sur l'infinité du lieu où tous les mondes possibles de l'être peuvent s'engendrer, où le Moi n’entrouvre ses entrailles à l'esprit que pour lui faire sentir qu'il n'est qu'un trait particulier de l'âme plongé dans une obscurité qui n'est que le reflet de lui-même. Pour appréhender ce lieu, notre auteur nous fait bien comprendre qu'il faut être adepte du silence, un disciple du silence, un martyr festif du silence, de cette parole qui est le vrai dire de l'âme et qui recèle sa vie même, sa manifestation ordinaire, sa présence inéluctable.  La vraie communion des âmes se fait par et dans le silence, cette lumière des êtres qui dépasse toutes les manifestations consciente de notre nature.

"Rien n'est visible et cependant nous voyons tout." dit Maeterlinck dans le chapitre Les avertis. Personnellement, je dirais l'inverse de cette phrase : tout est visible et cependant nous ne voyons rien. Tout est posé devant nous, nous voyons, mais savons-nous vraiment ce que nous voyons? Il faudrait sentir, intuitionner, au-delà de la pensée et du langage l'origine et le destin de chaque chose vue. Le silence doit être une révélation à la vision et non une opacité du mystère, à l'étrangeté de soi ou d'autrui. Et Le trésor des humbles (1896), ce livre de la permission à l'au-delà de la pensée, de la splendeur des abysses indescriptibles de la vie de l'âme, de l'angoisse de l'infinitude de la beauté, nous aide à tâtonner, ici et là, dans le gouffre indicible de nous-même. Ce livre a certains accents d'un autre esprit très pénétrant de la vie de l'âme, je fais référence à Gustave Thibon et à des ouvrages comme Ce que Dieu a uni où les ressorts les plus mystérieux et profonds de la nature humaine sont appréhendés sous l'angle d'une pensée chrétienne.

Je propose ici quelques extraits tirés du livre de Maeterlinck et propices à méditations:

"Nous vivons à côté de notre véritable vie et nous sentons que nos pensées les plus intimes et les plus profondes même ne nous regardent pas, car nous sommes autre chose que nos pensées et que nos rêves. Et ce n'est qu'à certains moments et presque par distraction que nous vivons nous-mêmes. Quel jour deviendrons-nous ce que nous sommes?" (p. 47)

"Il est certain que les relations naturelles et primitives d'âme à âme sont des relations de beauté. La beauté est le seul langage de nos âmes... Elles n'en comprennent pas d'autres. Elles n'ont pas d'autre vie, elles ne peuvent produire autre chose, elles ne peuvent pas s'intéresser à autre chose. Et c'est pourquoi, toute pensée, toute parole, tout acte grand et beau est immédiatement applaudi par l'âme la plus opprimée et la plus basse même, s'il est permis de dire qu'il y ait des âmes basses. Elle n'a pas d'organe qui la relie à un autre élément et elle ne peut juger que selon la beauté. Vous le voyez à chaque instant dans votre vie ; et vous même, qui avez renié plus d'une fois la beauté, vous le savez aussi bien que ceux qui la cherchent sans cesse dans leur cœur." (p. 175)

"Or, ne l'oublions pas, nous sommes ici sur des montagnes où s'ignorer n'est pas tout simplement ne pas savoir ce qui arrive en nous quand nous sommes amoureux, timides ou envieux, heureux ou malheureux. S'ignorer, où nous sommes, c'est ignorer ce qui se passe de divin dans les hommes. Nous sommes laids quand nous nous éloignons des dieux qui sont en nous ; et nous devenons beaux à mesure que nous les découvrons. Mais nous ne trouverons le divin dans les autres qu'en leur montrant d'abord le divin dans nous-mêmes. Il faut que l'un des dieux fasse signe à l'autre dieu ; et tous les dieux répondent au plus imperceptible signe." (p. 180)

"Je disais tout à l'heure qu'elle transforme en beauté les petites choses qu'on lui donne. Il semble même, à mesure qu'on y songe qu'elle n'ait pas d'autre raison d'être, et que toute son activité s'emploie à réunir au fond de nous un trésor de beauté qu'on ne peut pas décrite. Est-ce que tout ne se changerait pas naturellement en beauté si nous ne venions pas troubler sans cesse le travail obstiné de notre âme?" (p. 182) 

Maurice Maeterlinck, Le trésor des Humbles, Grasset, coll. Les cahiers rouges, 2008, 196 p.


lundi 18 septembre 2017

André Gide, Morale chrétienne, Journal, 1896, pléiade, p. 96

"Je m'étonne que le protestantisme, en repoussant les hiérarchies de l'Église, n'ait pas repoussé du même coup les oppressantes institutions de saint Paul, le dogmatisme de ses épîtres, pour ne relever plus que des seuls Évangiles. On en viendra bientôt, je pense, à dégager les paroles du Christ, pour les laisser paraître plus émancipatrices qu'elles ne le paraissent jusqu'alors. Moins ensevelies, elle paraîtront plus dramatiquement, niant enfin la famille (et l'on s'autorisera de cela pour la supprimer), tirant l'homme lui-même de son milieu pour une carrière personnelle et lui enseignant par son exemple et par sa voix à n'avoir plus de possessions sur la terre, plus de lieu où reposer sa tête. O avènement de cet "état nomade", toute mon âme te souhaite! où l'homme, sans foyer clos, ne localisera pas plus son devoir ou son affection que son bonheur, sur tels êtres./J'ai beau lire et relire l'Évangile, je ne vois pas une seule parole du Christ dont se puisse fortifier, et même autoriser, la famille, le mariage. J'en trouve au contraire qui le nient... "C'est à cause de la dureté de vos cœurs...", dit le Christ parlant des anciennes lois éducatrices de Moïse sur le divorce, qu'impliquaient celles du mariage. La levée de chaque disciple est enlèvement à sa famille; par respect filial, l'un d'eux veut, avant de suivre Jésus, ensevelir son père : "laisse les morts ensevelir les morts", lui dit le Maître. "Qui est ma mère et qui sont mes frères?" répond-il lorsqu'on lui dit que sa mère et ses frères sont venus pour le voir, et montrant tous ceux qui l'écoutent : "Voilà, ajoute-t-il, voilà ma mère et mes frères."

André Gide, Littérature et morale, Journal, 1896, pléiade, p. 94

"Je soutiendrai qu'il faut ceci, pour un artiste : un monde spécial, dont il ait la clef. Il ne suffit pas qu'il apporte une chose nouvelle, quoique cela soit énorme déjà; mais bien que toutes choses en lui soient ou semblent nouvelles, transapparues derrière une idiosyncrasie puissamment coloratrice./Il faut qu'il ait une philosophie, une esthétique, une morale particulières; toute son oeuvre ne tend qu'à le montrer. Et c'est ce qui fait son style. J'ai trouvé aussi, et c'est très important, qu'il lui faut une plaisanterie particulière; un drôle à lui."

jeudi 23 mars 2017

Pas d'accord avec Gramsci sur l'idée que l'homme est esprit et non nature dans son Il grido del Popolo. Il a une mauvaise notion de la nature. La création historique de l'homme est une forme de vie dans le sens wittgensteinien. "Le fait est que ce n'est que par degrés, par strates, que l'humanité a acquis la conscience de sa propre valeur et a conquis son droit à vivre indépendamment des hiérarchies et privilèges des minorités qui s'étaient affirmées historiquement au cours des périodes précédentes. Et une telle conscience s'est formée, non sous l'aiguillon brutal des nécessités physiologiques, mais grâce à la réflexion intelligente, réflexion de quelques-uns d'abord, puis de toute une classe, sur les causes de certains faits, et, sur les meilleurs moyens à adopter pour les transformer, d'occasions d'asservissement, en étendards de rébellion et de rénovation sociale. Cela veut dire que toute révolution a été précédée d'une intense activité de critique, de pénétration culturelle, d'imprégnation d'idées, s'exerçant sur des agrégats d'hommes, au départ réfractaires, et uniquement préoccupés de résoudre, jour après jour, heure par heure, pour leur propre compte, leur problème économique et politique, sans lien de solidarité avec tous ceux qui partageaient leur condition." Tout ceci est de l'ordre de la pure nature. 

"Se connaître soi-même signifie être maître de soi, se différencier, se dégager du chaos, être un élément d'ordre, mais un élément de son ordre propre et de sa propre discipline à l'égard d'un idéal. Et tout ceci ne peut s'obtenir sans connaître aussi les autres, leur histoire, la succession des efforts qu'ils ont faits pour être ce qu'ils sont, pour créer la civilisation qu'ils ont créée, et à laquelle nous voulons substituer la nôtre. Cela veut dire qu'il faut avoir des notions de ce que sont la nature et ses lois pour connaître les lois qui gouvernent l'esprit." Là, Gramsci part déjà avec une vision erronée de la nature et des lois par conséquent qui la régisse. Les lois qui gouvernent l'esprit sont à regarder là où justement nous semblons regarder seulement la nature. D'ailleurs, la dernière phrase me semble quelque peu obscure.

mercredi 22 mars 2017

Antonio Gramsci, Cahiers de prison, extrait cahier 1


«§ <51>. Le clergé en tant qu'intellectuel. Recherche sur les diverses attitudes du clergé pendant le Risorgimento, en liaison avec les nouveaux religieux et ecclésiastiques. Giobertisme, rosminianisme. L'épisode le plus caractéristique du jansénisme. À propos de la doctrine de la grâce et de sa conversion en source d'énergie industrielle, à propos également de l'objection de Jemolo à la juste thèse d'Anzilotti – d'où Anzilotti l'avait-il tirée ? - cf. Kurt Kaser, Riforma e controriforma, à propos de la doctrine de la grâce dans le calvinisme, ainsi que le livre de Philip où sont cités des documents actuels sur cette conversion. Dans ces événements se trouve contenue la documentation sur le processus de dissolution de la religiosité américaine : le calvinisme devient une religion laïque, celle du Rotary Club, comme le théisme du siècle des Lumières était la religion de la franc-maçonnerie, et avec cette différence que la religion du Rotary ne peut pas devenir universelle : elle est propre à une aristocratie élue (peuple élu, classe élue) qui a eu et qui continue d'avoir des succès ; un principe de sélection, non de généralisation, d'un mysticisme naïf et primitif propre à ceux qui ne pensent pas, mais œuvrent comme les industriels américains, doctrine qui peut proter en soi les germes d'une dissolution même très rapide (l'histoire de la doctrine de la grâce peut être intéressante pour voir les différentes adaptations de catholicisme et du christianisme aux diverses époques historiques et aux différents pays).
Il ressort des événements américains rapportés par Philip que, dans certaines occasion, le clergé de toutes les Églises a, en l'absence d'un parti représentant les couches moyennes et de la presse d'un tel parti, fait office d'opinion publique. » Cahier 1, p. 92, Gallimard, 1996

lundi 20 mars 2017

Charles Maurras, extraits "Quand les français ne s'aimaient pas", 1916, suite



" Ordre alors mutilé. Et, en tout temps, génie de qualité inférieure. On a beau dire : nous valons mieux que cela, aussitôt que nous ressemblons à nous-mêmes. Par delà la Révolution, par delà Jean-Jacques et Genève qui nous embrouillèrent de germanisme et de biblomanie, par delà l'anarchisme hystérique soufflé de l'Orient, il existe une noble et pure tradition de la France, bien reconnaissable à ce signe qu'elle est heureuse pour les Français, que les œuvres inspirées d'elle réussissent complètement et que hors d'elle nous ne réalisons rien de pur.
      Tradition catholique, c'est-à-dire exclusive d'un christianisme inorganique et séditieux. Tradition classique, j'entends logique et juridique, nationaliste et sociale, scientifique et autoritaire : souple et ferme soutien, solide nourriture des plus grands, des plus beaux et des lus fortunés moments de notre histoire, le XVIIe siècle, la Renaissance et le milieu du Moyen Age. Tradition qui développa, d'abord naïvement, par inclination naturelle et simple noblesse du cœur, mais plus tard avec une intention dessinée, ce que Rome et Athènes nous laissèrent de plus humain. " chapitre XIII, Jules Lemaître et Tolstoï, p. 159-160

samedi 11 mars 2017

Charles Maurras, extraits "Quand les français ne s'aimaient pas", 1916


L'âme européenne ne doit pas souffrir les divisions culturelles ou ethniques. Elle est le point central du salut de l'Europe et le ferment de sa prospérité spirituelle, intellectuelle et culturelle. Culture et spiritualité doivent être une seule et même chose au sein des peuples du continent. Une union, une harmonie véritable dépassant les antagonismes psychologiques, religieux, ou idéologiques, ou prétendus tels, par certains auteurs ou classes dirigeantes. Le gothique et le classique par exemple, doivent se comprendre dans l'esprit, leurs points communs doivent se trouver dans l'esprit proprement européen qui les a réalisé. En renouvelant la tradition, lui redonnant cette place privilégiée au sein du peuple. PLace qu'elle a perdu depuis tant d'années. Et en rappelant à ce même peuple qu'elle découle d'un ordre naturel des choses bien plus véritable du point de vue moral et esthétique que ce qu'une subversion tirée de la pensée humaniste peut bien nous être donner à voir aujourd'hui.

 "Quand les Français ne s'aimaient pas, ils ne pouvaient rien souffrir qui fût de leur main, ni de la main de leurs ancêtres : livres, tableaux, statues, édifices, philosophie, sciences. Cette ingratitude pour leur patrie était si farouche qu'un étranger a pu dire que leur histoire semblait écrite par leurs propres ennemis. Ni les arts, ni les lettres, ni les idées ne trouvaient grâce, à moins de venir d'autre part.
     Le plus haut point de cette mode se place il y a vingt ans environ. Nos compatriotes se firent donc beaucoup prier et parfois refusèrent net quand on les conjura de se garder, de se prémunir, de tenir en état leurs armées de terre et de mer, car à quoi bon mettre en défense tant de biens qu'ils n'estimaient pas ? Cependant, peu à peu, on les a vus se réconcilier avec leur image, et voilà qu'aujourd'hui ils se feraient hacher pour se délivrer d'un Barbare à qui l'on avait tout ouvert, même l'État, même l'École, même les têtes dans lesquelles le pays était supposé penser." Préface, p. VII-VIII
    "J'avoue que nos anciens eurent le beau malheur de vivre trop heureux. Ils ont développé leur liberté sous nos rois pendant de longs siècles paisibles sans avoir jamais eu à subir ces occupations étrangères qui furent le partage de l'Allemagne et de l'Italie. Quand l'ennemi essayait de les envahir, ils n'avaient pas besoin des Russes et des Anglais pour le repousser. La solidité des frontières permettait à leur méditation de se porter sur de tout autres problèmes, plus haut dans l'espace idéal, plus profond dans le cœur humain. Cela explique la réserve d notre littérature classique sur quelques points sensibles de la vie nationale. Elle n'est obsédée ni par les conditions de la défense, ni par les lois de la durée. L'indépendance n'était pas exposée, l'autonomie n'était inquiétée que de loin en loin : qu'aurait servi la spéculation là-dessus ? Mais réserve n'est pas absence et, dès qu'on y regarde de près chez nos maîtres, l'essentiel des plus sûrs principes est aperçu comme à fleur de sol, prêt à fructifier en conseils et règles de vie civique. Une politique française est sous-entendue parmi eux.
     Depuis, notre sort a changé : cinq invasions ont été souffertes dans les cinq quarts de siècles écoulés à dater de la Déclaration des Droits de l'homme. Cela est propre à faire réfléchir à d'autres invasions éventuelles. Les vieux principes implicites de la sagesse du pays en acquièrent une plus-value considérable. Ce qu'ils ont d'éternel nous met en état de compter et d'examiner les tires, les raisons, les fondements moraux de notre nationalité menacée par les arguments de la perfidie autant que par les coups de force. Bientôt les théories sublimes d'une France abandonnée et sacrifiée liturgiquement à l'humanité rencontrera chez nous la même résistance que les courses et les assauts de von Bulow. Les principes de la politique classique débrouillent les motifs pour lesquels ce robuste et sage pays a mérité de vivre, de s'étendre et de prospérer." Préface, p. XVIII-XX
    "Étions-nous assez ridicules, voici dix ou douze ans, mon cher Jean Moréas, quand nous parlions de traditions classiques de la France, de l'esprit et du goût helléno-latin. M. Brunetière nous répondait fort doctement que le propre du génie français a toujours été d'emprunter largement pour restituer au centuple. M Charles Dejob ne se faisait pas faute d'ajouter à cette doctrine des exemples appropriés. Chacun nous citait pêle-mêle l'influence d'Aristote et d'Ovide au moyen-âge, des deux antiquités à la Renaissance, de l'Espagne et de l'Italie au XVIIe siècle, de l'Angleterre au XVIIIe siècle, e,fin de l'Allemagne à l'époque du romantisme.
     Dans l'étude et dans la discussion de ces influences, on n'introduisait ni critique, ni mesure, ni choix. On observait quelquefois le degré de force ou de durée des importations étrangères, jamais le degré de bonheur. Si, par exemple, les pays de Calderon ou du Tasse avaient inspiré des œuvres plus belles que ceux de Pope ou de Schiller, personne ne pensait qu'on en dût tenir aucun compte. Des critiques subtils avaient, dans leur riche vocabulaire, deux mots à leur usage : français, c'est-à-dire né et produit en France ; etranger, c'est-à-dire né et produit à l'Étranger. Termes absolus, que l'histoire et la géographie ne tempéraient point. Où était né Virgile? Ne dites pas en Gaule cisalpine, ne dites pas dans le pays d'où la Gaule transalpine a tiré le principal de sa civilisation. Virigle, né hors des frontières de la France de 1789, et ayant employé un autre langage que les français de 1890, était qualifié d'étranger au même titre et au même degré qu'Ossian. Même façon péremptoire de s'exprimer sur Homère et J. Paul Richter, sur Arioste et sur Milton. Enveloppés du même titre, ces inspirateurs différents des antiques lettres françaises fournissaient, à eux tous, une argumentation triomphante aux partisans d'une Macédoine nouvelle composée de tous les jargons européens." Chapitre X, Une revue latine, p. 119-120.
     "Qu'on me pardonne de noter ces échos de notre jeunesse. Ils ne valent point par eux-mêmes, mais par la suite des événements intellectuels qui les ont, à certain égard, approuvés et continués. La mode était, en ce temps-là, aux écrivains et aux artistes septentrionaux. Sans méconnaître le démon brutal ou subtil qui les agitait, nous avions soin de dire que ces gens-là n'avaient que d'assez mauvais exemples à nous donner au point de vue esthétique et que au point de vue moral ils nous dégradaient.

      "L'orgueil d'Ibsen, la pitié de Tolstoï, la frénésie de Swinburne, l'idéalisme sensuel qui anime toute la philosophie de Wagner, le tâtonnement de Maeterlinck, toutes ces théories, toutes ces impulsions qui prétendaient à la conduite des mœurs ou du goût nous paraissaient dénuées d'ordre et de mesure, nous en appelions des divagations de l'Europe à la loi d'harmonie qui vole d'onde en onde sur la face de notre Mer. À l'unique nous opposions le composé ; à l'amorphe, le figuré ; à l'indéfini, le fini. Nous voulions rétablir " la belle notion du fini ". " N'exceptions la Divinité, ni même les amours. Ils ont leurs points extrêmes et au-delà, se dissocient. Définitions certaines, comme chantèrent nos poètes, et justes confins hors desquels s'étend un obscène chaos."

      "Nous percevions donc clairement, nous exprimions, non sans violence, quelle laideur se cache sous les formules du sentiment ou de la politique d'alors. Et nous remarquions le danger public enveloppé dans cette idylle humanitaire, si doucereuse en apparence. Excès de sensibilité, répétions-nous. La sensibilité n'est pas une règle, puisqu'elle est le fait à régler. Et nous ajoutions aussi, pour d'autres erreurs en cours : excès de rigueur. La règle ne consiste pas à tuer, à détruire, ni à anéantir le sujet qu'elle doit, au contraire, développer en le maintenant dans sa voie. Moralement, politiquement, littérairement se dessinait ainsi une doctrine de la force et de la discipline naturelle que cette force doit recevoir pour abonder en elle-même, se multiplier et briller." Chapitre XI, Le tien et le mien dans Nietzsche, p. 127-128.