jeudi 23 mars 2017

Pas d'accord avec Gramsci sur l'idée que l'homme est esprit et non nature dans son Il grido del Popolo. Il a une mauvaise notion de la nature. La création historique de l'homme est une forme de vie dans le sens wittgensteinien. "Le fait est que ce n'est que par degrés, par strates, que l'humanité a acquis la conscience de sa propre valeur et a conquis son droit à vivre indépendamment des hiérarchies et privilèges des minorités qui s'étaient affirmées historiquement au cours des périodes précédentes. Et une telle conscience s'est formée, non sous l'aiguillon brutal des nécessités physiologiques, mais grâce à la réflexion intelligente, réflexion de quelques-uns d'abord, puis de toute une classe, sur les causes de certains faits, et, sur les meilleurs moyens à adopter pour les transformer, d'occasions d'asservissement, en étendards de rébellion et de rénovation sociale. Cela veut dire que toute révolution a été précédée d'une intense activité de critique, de pénétration culturelle, d'imprégnation d'idées, s'exerçant sur des agrégats d'hommes, au départ réfractaires, et uniquement préoccupés de résoudre, jour après jour, heure par heure, pour leur propre compte, leur problème économique et politique, sans lien de solidarité avec tous ceux qui partageaient leur condition." Tout ceci est de l'ordre de la pure nature. 

"Se connaître soi-même signifie être maître de soi, se différencier, se dégager du chaos, être un élément d'ordre, mais un élément de son ordre propre et de sa propre discipline à l'égard d'un idéal. Et tout ceci ne peut s'obtenir sans connaître aussi les autres, leur histoire, la succession des efforts qu'ils ont faits pour être ce qu'ils sont, pour créer la civilisation qu'ils ont créée, et à laquelle nous voulons substituer la nôtre. Cela veut dire qu'il faut avoir des notions de ce que sont la nature et ses lois pour connaître les lois qui gouvernent l'esprit." Là, Gramsci part déjà avec une vision erronée de la nature et des lois par conséquent qui la régisse. Les lois qui gouvernent l'esprit sont à regarder là où justement nous semblons regarder seulement la nature. D'ailleurs, la dernière phrase me semble quelque peu obscure.

mercredi 22 mars 2017

Antonio Gramsci, Cahiers de prison, extrait cahier 1


«§ <51>. Le clergé en tant qu'intellectuel. Recherche sur les diverses attitudes du clergé pendant le Risorgimento, en liaison avec les nouveaux religieux et ecclésiastiques. Giobertisme, rosminianisme. L'épisode le plus caractéristique du jansénisme. À propos de la doctrine de la grâce et de sa conversion en source d'énergie industrielle, à propos également de l'objection de Jemolo à la juste thèse d'Anzilotti – d'où Anzilotti l'avait-il tirée ? - cf. Kurt Kaser, Riforma e controriforma, à propos de la doctrine de la grâce dans le calvinisme, ainsi que le livre de Philip où sont cités des documents actuels sur cette conversion. Dans ces événements se trouve contenue la documentation sur le processus de dissolution de la religiosité américaine : le calvinisme devient une religion laïque, celle du Rotary Club, comme le théisme du siècle des Lumières était la religion de la franc-maçonnerie, et avec cette différence que la religion du Rotary ne peut pas devenir universelle : elle est propre à une aristocratie élue (peuple élu, classe élue) qui a eu et qui continue d'avoir des succès ; un principe de sélection, non de généralisation, d'un mysticisme naïf et primitif propre à ceux qui ne pensent pas, mais œuvrent comme les industriels américains, doctrine qui peut proter en soi les germes d'une dissolution même très rapide (l'histoire de la doctrine de la grâce peut être intéressante pour voir les différentes adaptations de catholicisme et du christianisme aux diverses époques historiques et aux différents pays).
Il ressort des événements américains rapportés par Philip que, dans certaines occasion, le clergé de toutes les Églises a, en l'absence d'un parti représentant les couches moyennes et de la presse d'un tel parti, fait office d'opinion publique. » Cahier 1, p. 92, Gallimard, 1996

lundi 20 mars 2017

Charles Maurras, extraits "Quand les français ne s'aimaient pas", 1916, suite



" Ordre alors mutilé. Et, en tout temps, génie de qualité inférieure. On a beau dire : nous valons mieux que cela, aussitôt que nous ressemblons à nous-mêmes. Par delà la Révolution, par delà Jean-Jacques et Genève qui nous embrouillèrent de germanisme et de biblomanie, par delà l'anarchisme hystérique soufflé de l'Orient, il existe une noble et pure tradition de la France, bien reconnaissable à ce signe qu'elle est heureuse pour les Français, que les œuvres inspirées d'elle réussissent complètement et que hors d'elle nous ne réalisons rien de pur.
      Tradition catholique, c'est-à-dire exclusive d'un christianisme inorganique et séditieux. Tradition classique, j'entends logique et juridique, nationaliste et sociale, scientifique et autoritaire : souple et ferme soutien, solide nourriture des plus grands, des plus beaux et des lus fortunés moments de notre histoire, le XVIIe siècle, la Renaissance et le milieu du Moyen Age. Tradition qui développa, d'abord naïvement, par inclination naturelle et simple noblesse du cœur, mais plus tard avec une intention dessinée, ce que Rome et Athènes nous laissèrent de plus humain. " chapitre XIII, Jules Lemaître et Tolstoï, p. 159-160

samedi 11 mars 2017

Charles Maurras, extraits "Quand les français ne s'aimaient pas", 1916


L'âme européenne ne doit pas souffrir les divisions culturelles ou ethniques. Elle est le point central du salut de l'Europe et le ferment de sa prospérité spirituelle, intellectuelle et culturelle. Culture et spiritualité doivent être une seule et même chose au sein des peuples du continent. Une union, une harmonie véritable dépassant les antagonismes psychologiques, religieux, ou idéologiques, ou prétendus tels, par certains auteurs ou classes dirigeantes. Le gothique et le classique par exemple, doivent se comprendre dans l'esprit, leurs points communs doivent se trouver dans l'esprit proprement européen qui les a réalisé. En renouvelant la tradition, lui redonnant cette place privilégiée au sein du peuple. PLace qu'elle a perdu depuis tant d'années. Et en rappelant à ce même peuple qu'elle découle d'un ordre naturel des choses bien plus véritable du point de vue moral et esthétique que ce qu'une subversion tirée de la pensée humaniste peut bien nous être donner à voir aujourd'hui.

 "Quand les Français ne s'aimaient pas, ils ne pouvaient rien souffrir qui fût de leur main, ni de la main de leurs ancêtres : livres, tableaux, statues, édifices, philosophie, sciences. Cette ingratitude pour leur patrie était si farouche qu'un étranger a pu dire que leur histoire semblait écrite par leurs propres ennemis. Ni les arts, ni les lettres, ni les idées ne trouvaient grâce, à moins de venir d'autre part.
     Le plus haut point de cette mode se place il y a vingt ans environ. Nos compatriotes se firent donc beaucoup prier et parfois refusèrent net quand on les conjura de se garder, de se prémunir, de tenir en état leurs armées de terre et de mer, car à quoi bon mettre en défense tant de biens qu'ils n'estimaient pas ? Cependant, peu à peu, on les a vus se réconcilier avec leur image, et voilà qu'aujourd'hui ils se feraient hacher pour se délivrer d'un Barbare à qui l'on avait tout ouvert, même l'État, même l'École, même les têtes dans lesquelles le pays était supposé penser." Préface, p. VII-VIII
    "J'avoue que nos anciens eurent le beau malheur de vivre trop heureux. Ils ont développé leur liberté sous nos rois pendant de longs siècles paisibles sans avoir jamais eu à subir ces occupations étrangères qui furent le partage de l'Allemagne et de l'Italie. Quand l'ennemi essayait de les envahir, ils n'avaient pas besoin des Russes et des Anglais pour le repousser. La solidité des frontières permettait à leur méditation de se porter sur de tout autres problèmes, plus haut dans l'espace idéal, plus profond dans le cœur humain. Cela explique la réserve d notre littérature classique sur quelques points sensibles de la vie nationale. Elle n'est obsédée ni par les conditions de la défense, ni par les lois de la durée. L'indépendance n'était pas exposée, l'autonomie n'était inquiétée que de loin en loin : qu'aurait servi la spéculation là-dessus ? Mais réserve n'est pas absence et, dès qu'on y regarde de près chez nos maîtres, l'essentiel des plus sûrs principes est aperçu comme à fleur de sol, prêt à fructifier en conseils et règles de vie civique. Une politique française est sous-entendue parmi eux.
     Depuis, notre sort a changé : cinq invasions ont été souffertes dans les cinq quarts de siècles écoulés à dater de la Déclaration des Droits de l'homme. Cela est propre à faire réfléchir à d'autres invasions éventuelles. Les vieux principes implicites de la sagesse du pays en acquièrent une plus-value considérable. Ce qu'ils ont d'éternel nous met en état de compter et d'examiner les tires, les raisons, les fondements moraux de notre nationalité menacée par les arguments de la perfidie autant que par les coups de force. Bientôt les théories sublimes d'une France abandonnée et sacrifiée liturgiquement à l'humanité rencontrera chez nous la même résistance que les courses et les assauts de von Bulow. Les principes de la politique classique débrouillent les motifs pour lesquels ce robuste et sage pays a mérité de vivre, de s'étendre et de prospérer." Préface, p. XVIII-XX
    "Étions-nous assez ridicules, voici dix ou douze ans, mon cher Jean Moréas, quand nous parlions de traditions classiques de la France, de l'esprit et du goût helléno-latin. M. Brunetière nous répondait fort doctement que le propre du génie français a toujours été d'emprunter largement pour restituer au centuple. M Charles Dejob ne se faisait pas faute d'ajouter à cette doctrine des exemples appropriés. Chacun nous citait pêle-mêle l'influence d'Aristote et d'Ovide au moyen-âge, des deux antiquités à la Renaissance, de l'Espagne et de l'Italie au XVIIe siècle, de l'Angleterre au XVIIIe siècle, e,fin de l'Allemagne à l'époque du romantisme.
     Dans l'étude et dans la discussion de ces influences, on n'introduisait ni critique, ni mesure, ni choix. On observait quelquefois le degré de force ou de durée des importations étrangères, jamais le degré de bonheur. Si, par exemple, les pays de Calderon ou du Tasse avaient inspiré des œuvres plus belles que ceux de Pope ou de Schiller, personne ne pensait qu'on en dût tenir aucun compte. Des critiques subtils avaient, dans leur riche vocabulaire, deux mots à leur usage : français, c'est-à-dire né et produit en France ; etranger, c'est-à-dire né et produit à l'Étranger. Termes absolus, que l'histoire et la géographie ne tempéraient point. Où était né Virgile? Ne dites pas en Gaule cisalpine, ne dites pas dans le pays d'où la Gaule transalpine a tiré le principal de sa civilisation. Virigle, né hors des frontières de la France de 1789, et ayant employé un autre langage que les français de 1890, était qualifié d'étranger au même titre et au même degré qu'Ossian. Même façon péremptoire de s'exprimer sur Homère et J. Paul Richter, sur Arioste et sur Milton. Enveloppés du même titre, ces inspirateurs différents des antiques lettres françaises fournissaient, à eux tous, une argumentation triomphante aux partisans d'une Macédoine nouvelle composée de tous les jargons européens." Chapitre X, Une revue latine, p. 119-120.
     "Qu'on me pardonne de noter ces échos de notre jeunesse. Ils ne valent point par eux-mêmes, mais par la suite des événements intellectuels qui les ont, à certain égard, approuvés et continués. La mode était, en ce temps-là, aux écrivains et aux artistes septentrionaux. Sans méconnaître le démon brutal ou subtil qui les agitait, nous avions soin de dire que ces gens-là n'avaient que d'assez mauvais exemples à nous donner au point de vue esthétique et que au point de vue moral ils nous dégradaient.

      "L'orgueil d'Ibsen, la pitié de Tolstoï, la frénésie de Swinburne, l'idéalisme sensuel qui anime toute la philosophie de Wagner, le tâtonnement de Maeterlinck, toutes ces théories, toutes ces impulsions qui prétendaient à la conduite des mœurs ou du goût nous paraissaient dénuées d'ordre et de mesure, nous en appelions des divagations de l'Europe à la loi d'harmonie qui vole d'onde en onde sur la face de notre Mer. À l'unique nous opposions le composé ; à l'amorphe, le figuré ; à l'indéfini, le fini. Nous voulions rétablir " la belle notion du fini ". " N'exceptions la Divinité, ni même les amours. Ils ont leurs points extrêmes et au-delà, se dissocient. Définitions certaines, comme chantèrent nos poètes, et justes confins hors desquels s'étend un obscène chaos."

      "Nous percevions donc clairement, nous exprimions, non sans violence, quelle laideur se cache sous les formules du sentiment ou de la politique d'alors. Et nous remarquions le danger public enveloppé dans cette idylle humanitaire, si doucereuse en apparence. Excès de sensibilité, répétions-nous. La sensibilité n'est pas une règle, puisqu'elle est le fait à régler. Et nous ajoutions aussi, pour d'autres erreurs en cours : excès de rigueur. La règle ne consiste pas à tuer, à détruire, ni à anéantir le sujet qu'elle doit, au contraire, développer en le maintenant dans sa voie. Moralement, politiquement, littérairement se dessinait ainsi une doctrine de la force et de la discipline naturelle que cette force doit recevoir pour abonder en elle-même, se multiplier et briller." Chapitre XI, Le tien et le mien dans Nietzsche, p. 127-128.