jeudi 14 mai 2015

Philippe Rovere, Impromptu de poésie (2015)

Voilà un auteur dont le lyrisme, loin de se complaire à la simple inscription sur le papier, obtient son plein accomplissement dans le doux chant de la voix humaine, dans la diction sensible et vivante, généreuse, de la voix. C'est une sorte d'invitation au voyage dans la volupté du mot, simple et évocateur. Invitation à des histoires du quotidien qui s'immiscent dans la beauté du vers, dans l'instant ailé de la poésie. J'ai connu Philippe au café littéraire La plume en question, au milieu des thés, des textes et de son livre que je feuilletais, au hasard, curieux. Il me parla de la composition de ce livre, de l'inspiration qu'il eu, de la manière impromptue, selon ses propres mots, de cette venue du dessin soudain du visage et du corps de ses poèmes, des vertèbres, des entrailles de ces textes, du charme et de l'allant incomparable qui émane, qui s'échappe de ces mots dès les premières lectures. L'impromptu est le rendez-vous des circonstances qui viennent toujours à-propos, et ce livre en est la caractéristique. Chez Rovere, l'expression est importante, elle explose parfois, s'offre tout le temps. Le poème se fait l'invite de l'esprit, il éclot et se coule sur la page, s'inscrit inévitablement, comme une évidence. Il est ce qui était là peut-être depuis toujours sans que nous le sachions vraiment, avant il n'était peut-être pas prêt à se dire, à se faire jour le long de ce chemin, le long de cette phrase qui termine une histoire. Il y a de l'élévation dans la poésie de Rovere, un salut par le ciel, une quête de la pureté qui ne peut être que verticale, en haut du firmament. Débarrassé de tous les oripeaux, de la fausse monnaie du langage et du mauvais versant de la vie quotidienne il peut atteindre l'essence de la beauté dans l'essence de soi même.  S’envoler, léger, s’élever lavé,/Des liens libéré, délivré,/Nouveau oiseau, nouvelle oiselle,/S’envoler léger, s’élever, lavé par le ciel (S'envoler). C'est aussi la grâce qui est demandé ici et qui vécu comme un arrachement à la lourdeur, à ce que Céline voyait comme la lourdeur du corps, des gens, de leur vie, de la réalité que l'homme construit de son pas lourd, sans grâce,etc. Le cadeau aussi, ce don sensé offrir l'acte véritable d'affection, se fait lourdeur, langueur, quand il est sans amour, par sa monotonie même, son automatisme, l'industrialisation de l'objet sans âme, qui ne réfléchit plus l'âme aiment et se faisant ainsi De fades et froides et tristes usines à solitude (Le cadeau). D'ailleurs, en revenant à Céline, celui-ci, en évoquant son style disait Lus tout haut, mes textes sont franchement hideux, grotesques d'emphase, vive Bossuet alorsC'est le rendu émotif interne auquel je m'efforce ... Un tout autre travail ... Céline fait référence à l'intimité, au rendu intime de la parole du texte dans la tête du lecteur. Je dirais que, pour parler de la poétique de Rovere, c'est à la fois un rendu émotif interne et externe qui est appelé au grès des histoires, des émotions, aller dans l'intimité de toute chose et l'exalter à haute voix ou à voix basse. Mais continuons. Le bouquet de fleurs est convoité pour sa signification affective même si, comme le bulle de savon mais moins subrepticement, il ne dure qu'un court moment sans cesse réifié dans le cœur par le souvenir. Comme ces bulles de savon qui s’envolent et s’en vont et qui crèvent à loisir,/Beau, véritable et mourant miroir de mes cellules,/Bouquet cadeau de l’automne, comme tu me fais plaisir./Plus fort que tout, chaque jour qui passe, un peu plus, éphémère,/Je t’aime et de loin, je te préfère… (Le cadeau) Mais bien plus que le bouquet, le cadeau de soi est amour et don des corps, élancement des étreintes, du partage amoureux renouvelé par le don de soi à l'autre. Le désir est derrière tout le don, et la fleur est ce corps qui symbolise tout le sens de l'être voulant se donner pour l'autre, en offrande commune. J'aime beaucoup le pouvoir que Rovere revêt aux fleurs, pouvoir de parfumer un nez, un souvenir de l'aimée, mais aussi de faire taire le poète, de l'inhumer, décorer sa tombe même et de rappeler aux passants combien il aimait humer ces senteurs de l'été. Langage de la vue, de l'odorat et du touché des fleurs, ces parfums, ces saisons qui parsèment le recueil. Belle nature. Il n'y a qu'à lire par exemple le poème Je voudrais garder les couleurs de l’automne pour comprendre la place des éléments changeants de la nature sur la sensibilité du poète. Car ce livre est aussi un livre des éléments de la nature, qui chantent leur hymne jusqu'au fond du cœur du poète. Le soleil oriental insomniaque, les couleurs de l'automne en fuitent, la pluie qui attire, qui émerveille. Rovere sait, par la simplicité de son expression même, faire véhiculer et jaillir l'image la plus saine et la plus vibrante d'un instant de bonheur dans les plaisirs simples et partagés, sans grandiloquence, tel Pépé et son ami Paul pêchant la grenouille au bord d'un puits avec Des petites pupilles pénétrantes plus que la pluie pétillaient de joie (Pénétrantes pupilles). Et ces sentiments si humains, le doute, la nostalgie, la peur, cette peur tiens, C'est comme un cœur que l'on étouffe  (La peur) sont racontés avec une justesse toujours touchante. Au reste, recueil prenant et premier coup d'essai réussit pour son auteur et la petite maison d'édition, alias Madame Chat, qu'il a lui même monté et qui, je l'espère, se fraiera un chemin vers une longue histoire et heureuse histoire.

Philippe Rovere, Impromptu de poésie, Madame Chat édition, 2015, 58 p. 11,50

lundi 11 mai 2015

Notes sur Le Poème de Parménide (partie I)

On peut dire que la philosophie occidentale commence par Parménide, ou en tout cas, par les présocratiques. Parménide est le philosophe de l'être, Héraclite celui du devenir. Jean Beaufret a vu dans la première philosophie de Parménide l'influence de la philosophie d'Anaximandre, le père Grec du ἀρχή et d'une forme de doctrine de la permanence de l'être, de la chose inengendrée. Philosophe de l'être, Parménide est aussi le philosophe du non-être posé comme ce qui ne peut se dire, qui ne peut se connaitre, qui est impossible à concevoir mais que cette inconcevabilité même est un chemin à considérer. Le Poème de Parménide est une sorte d'initiation à la Vérité par une déesse à un apprenti philosophe que l'on peut considérer comme Parménide lui-même. La déesse par sa parole instruit l'apprenti tout d'abord par deux voix, premièrement celle de la vérité et deuxièmement celle des mortels où l'on ne peut se fier à rien de véridique qui soit véritablement la connaissance de l'essence des choses. Il faut bien signaler ici que cette parole de la déesse fait office d'ouverture à la vérité complète sur l'être donc du dévoilement sur la Vérité dans le royaume où réside la déesse, garante de cette Vérité car étant sans que le poème le mentionne symbole de la Vérité. Jean Beaufret, avec une remarquable acuité, a bien vu le retranchement de la Vérité par la distance que la déesse prend en n'étant que parole et qu'elle n'apparait pas comme était apparut l'attelage au galop guidant le philosophe ainsi que les portes aux gonds garnis de cuivre ou encore les Filles du Soleil au fragment I. La parole de la Vérité est accomplit donc que par l'acte de nommer ce qui est au-dessus d'elle, c'est-à-dire la vérité même. Mais il faut remarquer que la déesse accueille le philosophe en lui prenant la main avant de lui adresser la parole. La déesse après cela se fait juste parole, rien que parole, sans qu'il y ait vision même de la déesse. Mais passons au vif du sujet.

     L'être de Parménide est l'être inévitable car, il n'y a que l'être au monde qui perdure en son principe et en son corps dans une totalité qui se déploie. L'être est permanence de sa présence car on ne peut concevoir son engendrement. Le non-être, le néant, se trouve alors dépossédé de son droit de signification objective dans l'être. Le Même est le déploiement concomitant de la pensée et de l'être. La transcendance de l'être, son perpétuel déploiement, se fait par l'unité de la pensée et de objet et est donc déploiement noétique de la conscience transcendantale. Ce qui se donne à la représentation est donc ce lien originel et étroit, corrélatif, entre le penser et l'objet dans le Même. L'absence d'un objet ne contrecarre en rien la permanence totale de l'être, mais absence est toujours présence de l'essence de l'être. Il est en son intériorité infiniment ouverture en son sein. La nature de l'être est circulaire, la présence de l'être n'est pas infinie mais totale présence dans l'atemporalité de son être-là. Le fragment V par exemple Ce m'est tout un par où je commence, car là même à nouveau je viendrai en retour. (p. 81) en est éclairant. L'étant est dans le temps et non l'être. L'être est donc une absolue présence car il est le cadre de la manifestation de l'étant. Il maintient sa présence par l'inéluctabilité de son principe. Il n'y a pas de possible de l'être mais possibilité de l'être d'un étant. L'être en tant qu'être n'est donc pas un devenir car il est toujours pareil à lui-même. Perception et penser sont une seule et même chose par l'unicité du Même. Il y a l'expérience transcendantale de ce penser dans l'ouverture initiale de l'être au fil de la génération des étants. Il y a toujours l'objet qui se présente substantiellement à la pensée. Mais l'être reste un mystère, un voilement qui reste hermétique dans son ouverture. Comme l'a souligné Beaufret, les Grecs accordent un sens privatif à la vérité plutôt que positif. La vérité se dérobe à l'homme dans un voilement que la parole ne peut découvrir par le langage, qui ne peut se dire.et que ce qui est dévoilé est conditionné par cette privation de la vérité. Et découvrir la vérité c'est aussi découvrir le non-dévoilement, découvrir la nature privative de la vérité. C'est le non-dévoilement se dévoilant, qui est selon Beaufret, ce qu'il y a de plus radical dans sur les agissements et manifestations de l'étant. Hum...Ceci n'est pas sans me rappeler le Tractatus et pourrait rejoindre en quelque sorte une description de la nature de l'éthique comme domaine situé hors du monde perçu et qui ne peut se dire, on peut aussi voir ce que dit Wittgenstein dans sa Conference sur l'éthique à une différence près que le non-dévoilement est présence au monde mais ne peut se dire, il est indicible tout comme la mystique wittgenstenienne. La nature de la vérité chez les Grecs est donc très particulière par rapport à la propre définition de vérité qui a lieu dans le monde moderne. Beaufret, pour souligner que le non-dévoilement est aussi positivité, recours à Heidegger qui a commenté cette question en ces termes c'est parce que, pour les Grecs, le non-dévoilement qui se voile lui même étend initialement son règne dans le déploiement de l'être, et détermine ainsi la présence et l'accessibilité de tout étant le nom qu'avaient les Grecs pour ce que les Romains nomment veritas et nous vérité est pourvu d un ἀ privatif (ἀ-λήθεια) qui le signale en propre (p. 12). C'est donc grâce au non-dévoilement que nous pouvons accéder à la connaissance de l'étant par l'acte de dévoiler par son déploiement arraché au non-dévoilement qui est occulté par le surgissement hors de la λήθη (oubli, privation). La connaissance du monde de l'étant se fait sur le voilement de la connaissance de l'essence de l'être. L'alètheia, qui est le terme grec de dévoilement, contient en lui le privatif d'où est sorti l'étant pour être, et l'étant par son être propre, a laissé derrière lui le privatif, le non-dévoilement. Dans la vérité des Grecs, il y a cette coordination de deux opposés, le vrai et sa négation, dans le même acte de dévoilement et de retrait. Mais... Cela reste à approfondir dans une seconde partie.

Jean BEAUFRET,  Le poème de Parménide, Paris, PUF, 1955.

vendredi 8 mai 2015

Quelques points sur l'élaboration d'un ouvrage sur l'ontologie

En ce moment, je prends des notes pour la composition d'un ouvrage concernant l'ontologie. Je cherche à clarifier et a approfondir certaines positions prisent dans les Préludes à l'Esthétique du paraître notamment la définition de l'être, de l'étant, du devenir, l’atemporalité, la durée, de la dualité corps/esprit, la détermination de la substance, la subjectivité, etc.  Je m'intéresse beaucoup à la substance neutre ou monisme neutre de Russell bien que je pense qu'elle ne peut correspondre à ma conception de la substance. Russell entendait par ce concept répondre au problème de la dualité corps/esprit en postulant un tissu neutre qui ne soit matériel ni mental mais antérieur à ceux ici et neutre par rapport à eux. Pour Russell, il s'agit d'une entité plus primitive qui joue le rôle d'entre deux entre la matière et le mental. Les modalités d'émergence du mental et de la matière à partir de ce tissu neutre chez Russell restent à questionner. En ce qui concerne le monisme matérialiste, la conception de la théorie du double aspect, tenu notamment par Spinoza, Lewes ou encore Nagel et Solms, est en fait assez différente de la théorie de Russell. Elle stipule que la substance première est matérielle mais que celle-ci peut être appréhendée de deux manières distinctes, c'est-à-dire physique ou mental. Le cerveau par exemple vu de l’extérieur est appréhendé physiquement, mais appréhendé intérieurement comme mental par la réflexion. Je tendrais à dire que ma conception du problème corps/esprit dans les Préludes à l'Esthétique du paraître rejoint en quelque sorte celle de la théorie du double aspect bien qu'une relation non dualiste avec la théorie émergentiste doit être conciliée. Une redéfinition de la théorie de l'émergence doit être mise en place pour l'accordée avec une philosophie moniste de type matérialiste. La plasticité de la matière engendre l'émergence de propriétés différentes de ses composantes initiales, de ce dont quoi elles sont composées mais pas d'une différence fondamentale. Les propriétés portent en elles les constituants propres à ce qui émergera par la combinaison de leurs propriétés. Je me suis senti dernièrement des affinités avec la philosophie de l'être de Louis Lavelle, surtout les concepts de l'être en acte, de l'intuition participative de l'Être, bien que le sens du versant axiologique de sa doctrine me semble un peu étranger (encore que...). Sa méthode de la dialectique réflexive est intéressante dans la manière dont elle peut articuler présence totale de l'être et mode d'être au monde. L'activité réflexive de l'être doit être  étudiée dans ses ouvrages notamment La dialectique du monde sensible (1922), Dialectique de l'éternel présent (1928-1951), son ouvrage majeur De l'acte (1937) ainsi que son Introduction à l'ontologie (1947). Mais pour l'instant je m'attache à mieux comprendre Parménide et son Poème dont je reparlerai sur ce blog.


mardi 5 mai 2015

Jean-Michel Maulpoix, Une histoire de bleu (1992)

Une histoire de bleu, une histoire à la fois pour la peau et pour l'œil. Ce livre de Jean-Michel Maulpoix est placé sous le signe d'une couleur, le bleu, et d'un sentiment, le bleus. Comme le dit l'auteur lui-même : Semblables au cortège des neuf muses, ce sont ici neuf courts chapitres, réunissant chacun neuf textes, qui invitent à retrouver dans l'équilibre même de leur écriture cette plénitude longuement recherchée. Le ciel et la mer se partagent le recueil, dans une verticalité qui exprime aussi bien le désir inassouvi, le rêve éternellement rêve, les anges déchus dont les bleus à l'âme ne peuvent plus être réparés. L'amour est définitivement impossible, il n'est connu que par ouï-dire, insaisissable. L'amour comme le ciel est inatteignable de nos mains, il ne fait qui fluer et refluer dans notre esprit, comme le mouvement de la mer. Et pourtant nos doigts ont des ailes mais les mains sont malhabiles (p. 32). L'amour est cette langue qui court indéfinissablement en mots sur toute chose. La mer est aussi un lieu où certaines personnes, dans leur mélancolie, passent en l'autre monde, de la mer au ciel, par le désir de s'en aller ailleurs, loin peut-être de la bêtise des hommes. Le bleu est la beauté, le baume recouvré après la tempête, après la pluie incessante, la grisaille des nuages. Et ce bleu nous fait désirer toujours l'amour que l'homme voit comme une tâche, un devoir (p. 35) mais qui est au combien fébrile et en partie vaine. Les femmes aux yeux noirs ont le regard bleu. (p. 38) Maulpoix voit le bleu de l'âme, couleur infinie de l'espérance de l'homme, ce baume qui soigne le chagrin, la peur de la mort. C'est pourquoi nous aimons le son du violoncelle et les soirées d'été : ce qui nous berce et nous endort. Le jour venu, l'illusion de l'amour nous fermera les yeux (p. 38). Mais le bleu est aussi illusion sur notre condition, sur ce qui nous attend au final, le bleu créer le désir du bleu, l'espérance d'autre chose, un échappatoire à notre solitude, au quotidien sans amour, le bleu est toujours sursaut de cette volonté d'amour, qui un peu plus nous détruit, nous calcine par son inaccessibilité même. Les dieux sont toujours présents mais échoués dans le sein de la mer, nouveau lieu de culte qui est, dit le poète incertain parce que cabane de vent (p. 55) et dont les paroles des prières ancestrales n'ont plus l'écho d'avant, enfouie donne le cervelle des anges (p. 55).

Le recours à la mer est le recours au divin, à la chute sur terre des dieux, elle est donc un vestige du ciel, du paradis perdu dans notre monde. Mais les dieux sont morts, ils ne vivent encore un peu que dans nos rêves de pierre, la mer du ciel est trop lointaine, les dieux sont trop peu véridique pour apaiser nos tourments. Il ne resta bientôt de la croyance que le souvenir de sa couleur (p. 59) Pour Maulpoix, l'absence de croyance du monde moderne s'identifie à la pâleur du souvenir, à la candeur d'un âge révolu de l'homme qui a perdu la couleur de l'émerveillement, du sacré, de la transcendance de l'être. Le désenchantement s'arroge le droit de dire ce que l'homme doit à présent espérer, c'est-à-dire plus grand chose. L'homme est alors comme une chair déjà morte, qui erre sur terre l'œil rivé sur la mélancolie des étoiles. Le bleu est une couleur propice à la disparition (p. 67). Le bleu pour Maulpoix est la couleur qui attire à soi, enfonce, noie l'être sans qu'il s'en rende compte. L'homme meurt de la chair et ainsi délivrant l'esprit de son enveloppe qui pourrissait sa pensée. En fait, le bleu veut regagner les cieux, être vraiment lui-même dans sa teinte la plus éclatante. Il vit sur la ruine de l'homme, prospère par cela. Le bleu semble aussi vouloir accomplir un besoin métaphysique de l'homme, lui procurer une sorte de réponse à son questionnement existentiel, pour un moment tout au moins. Maulpoix voit dans le bleu le créateur du monde, du monde visible et vécu par l'homme. On pourrait dire que le bleu est l'acte de vie des choses, cet amour de la création dans la nature, dans les œuvres de la nature humaine. Mais en même temps le bleu assassine, détruit et s'accroît dans la destruction. Ange ou démon, le bleu souffle le vent de son ambivalence sur les êtres. La morale de Maulpoix est un constat sur les chimères de l'homme, sur ses passions qui le ronge intérieurement. C'est cette morale qui se fait conseillère, utile, Dresse-toi sur tes faiblesses autant que sur tes forces : ne resiste pas à celui que tu es (p. 94). Les mots sont les derniers restes de l'homme contre le bleu de la mer qu'il doit combattre, en varier la teinte. Mais l'homme semble combattre en vain, il se noie toujours devant la mer indestructible. Maulpoix sent bien l'absurdité de la position de l'homme, qui se perd en voulant se sauver dans la nature du bleu qui est si prégnante dans son existence, comment peut-il être vainqueur?

Tout ce que j'ai aimé, tout ce que j'ai perdu, avait le goût de mon enfance. (p. 111). Enfance que le poète cherche à ressaisir la mauvaise mémoire. Enfance qu il dit presque sans figure et qu il ne peut plus sur la page que simplement pressentir sa finitude et la dissolution de la chair dans la terre. L'enfance retrouvée, revécue est donc impossible. Le poète ne peut écrire véritablement que sur la seule idée point trop folle pour la quelle on puisse avoir encore le goût de vivre. (p. 121) celle de la mort, l'idée mère. Orphelin de son enfance, le poète se réfugie dans la mort comme allant vers sa mère. La mort nous apprends ce qu'est la vie et ce qu'il reste à dire de nous sur le papier. La mère est ce langage des jours, ce mouvement de désir du souvenir de l'enfance, des histoires racontées et le fatal horizon de la réalité présente. Le style de Maulpoix, comme le signale Antoine Emaz dans la préface, est une prose qui manie avec cohérence l'écriture théorique et poétique. Une éloquence sobre qui regarde et qui juge, critique, constate. Il y a cette dichotomie séculaire entre le rêve et le réel, le monde dans son âpre instinct du réel, sa langueur où l'absence d’idéal est le moteur selon Emaz d'une tension assourdie (p. 23), milieu où le sentiment déchiré, la fêlure du cœur se dissimule derrière une mise à distance qui s'apparente à un bruit sourd, sans crie, sans alarme, comme résigné dans la souffrance. Le lyrisme de Maulpoix est autant exploration que méditation avec cette pureté qui assemble le sacré avec la pathétique du quotidien du monde moderne, de la déchéance de la croyance que l'homme veut retrouver. Ce qu'il faut découvrir de Maulpoix est sa plainte de derrière la fenêtre.

Jean-Michel Maulpoix, Une histoire de bleu, Poésie/Gallimard , 2005, Paris, 256 p.