Pièce
unique dans l'histoire l'antiquité romaine, les Res Gestae
est un document irremplaçable sur le règne d'Auguste (30 av.
J.C.-14 av J.C.) tant par le contenu historico-politique du texte que
par son objectif et les informations précieuses dont il est
renfermé. L'édition trilingue de cette "œuvre" parut aux
belles lettres, en latin en grec et en français, nous offre une
introduction et un apparat critique érudite et claire sur les
différentes versions du texte, des différents débats
historiographiques, qui sont le fruit des recherches de John Scheid
et dont je m'appuie en grande partie pour cette présentation. Le 3
avril 19 a.p. J.C. Auguste dépose selon Suétone quatre documents
auprès des Véstales. Deux codices composants sont testament
privé et trois uolumina scellés. Les Res Gestae
concernent le deuxième uoluminen, qui est lu par Drusus,
le fils de Tibère, et narrant de manière autobiographique les
gestes et faits accomplit durant le principat par Auguste en faveur
du Peuple romain. On pense dans une relative mesure que la
composition et l'exécution des Res Gestae aurait pu être
entrepris d'une traite à la fin de la vie d'Auguste bien qu'aucune
preuve indéniable en faveur de cette thèse n'est pu être révélée
jusqu'à ce jour. Selon certains, Auguste aurait sûrement dicté ses
Res Gestae à ses secrétaires qui se sont occupées de la
mise en forme finale du texte. GL. Bowersock a suggéré une autre
possibilité de composition celle où les secrétaires de l'empereur
lui auraient soumis le plan d'un texte auquel Auguste, Tibère ou
Livie l'épouse d'Auguste, leur avait auparavant résumé ce qui
devait y figurer. Auguste s'occupant alors de relire ou rectifier
certaines choses, ajoutant donc sa touche personnelle. Ce texte par
ailleurs, composé sans toute vraisemblance entre 9 et 13 a.p. J.C.,
est un texte dont la matière et sa fonction principale ont aussi
posés problème aux chercheurs. Mommsen (1887) avait conclut qu'il
s'agissait d'un compte rendu justificatif de ses actes politiques. J.
Bergmann (1884) et E. Bormann (1896) ont proposé de regarder ce
texte comme un éloge funéraire mais cette supposition a été
invalidé par E. Kornemann en 1921. Wilamowitz (1886) a vu dans les
Res Gestae, en las comparant à l'inscription de l'Empereur
Hadrien dressé au Panthéon d'Athènes du vivant de l'empereur, la
justification de l'apothéose prochaine d'Auguste auquel W. Weber
(1936) a magnifié une vision de l'empereur artiste montrant sa
volonté de pouvoir caractérisant des tensions intérieurs d'Auguste
et la mesure de l'homme politique ayant refréné ses passions.
Vision qui reste, contenu de la vision de Weber et de l'époque de
ses remarques, idéologique. On considère aujourd'hui les Res
Gestae comme la forme d'une auto-représentation épigraphique,
chronique des faits et actes effectués par l'empereur, de sa
conduite envers le peuple romain, des honneurs reçus, de la
sauvegarde du régime républicain par une véritable conscience
politique soucieuse de respecter les institutions de la République,
pour le moins en apparence. On est alors en face d'un document
politique particulier, justification du pouvoir principat et de son
modèle idéologique.
Le
texte s'ouvre sur un titre ou préambule et où le peuple romain
tient une place centrale, Auguste ayant accomplit ses actes
essentiellement pour la gloire de la République romaine et de son
peuple. Le texte, assez court (270 lignes), débute en I. 1 par
l'année 44 av J.C. plus précisément octobre 44 lors des 19 ans
d'Octavien futur Auguste et au moment de la dernière phase de la
guerre civile qui donne un dernier coup de grâce à la République
romaine. Dès le début, Auguste tente de maintenir la fiction d'une
République sauvée par lui et qui était mise en péril par ses
adversaires, les "césaricides". Le sénat lui accordant
l'imperium, lors des décrets du 1er janvier 43 av J.C.
(chap.1.1), un sur l'adlectio parmi les questoriens et un sur
le droit de donner son avis parmi les consuls ainsi que son élection
en tant que consul par le peuple et triumvir avec Marc Antoine et
Lépide qui est officialisé par la loi Lex Titia voté par
les comices. Auguste fut consul sans interruption de 31 à 23. Le
consulat revêtait alors un fonction symbolique. Il est à remarquer
qu'au chapitre 5, Auguste mentionne son refus de la dictature qui lui
fut conféré par le peuple romain ainsi que par le étant. Durant la
seconde partie de l'année 23 av J.C. il y eu un problème de
ravitaillement en blé ce qui occasionna une famine et des
troubles dans la cité. Le peuple de Rome constatant que ce fait se
passa en l'absence de l'empereur dans la fonction de consulat, il
obligea le sénat à donner la dictature au princeps mais ce
dernier refusa cet emploi à son retour de Rome. On peut rappeler
qu'un loi Antonia créée après la mort de César,
interdisait d'accepter ou de donner la dictature. On voit ici Auguste
toujours soucieux de respecter les lois issues du sénat. Il accepta
en revanche l'annone qui est une charge de ravitaillement de la
population et cela sur ses propres deniers pouvant ainsi se poser
comme il le dit, en libérateur de la cité et en comme l'homme
rétablissant l'ordre à Rome par un soucis du bien commun. Le
chapitre 6 est du me acabit, Auguste y rappelle qu'il a refusé
d'être seul curateur des lois Juliennes de 18-17 av J.C. qui
l'aurait mit dans la situation d'un monarque en bon et dû forme,
préférant alors se mettre en accord lors de ses interventions avec
les pouvoirs des tribuns de la plèbe, démarche qu'il fit lui-même.
La puissance tribunicienne devient alors ce sur quoi son pouvoir va
s'affirmer car elle lui permet de réunir le sénat et les comices,
lui apportant un droit de veto sur les décisions prises par ces
institutions, tout en obtenant l'imperium proconsulaire
supérieur à celui des gouverneurs et l'octroie de la sacro-sainteté
(chap. 10). En 19 av J.C., en recevant la puissance consulaire à
vie, munit d'un imperium qu'il peut exercer à l'intérieur du
pomerium de Rome ce qui est contraire justement à la
tradition romaine qui veut qu'aucune force militaire ne pénètre
dans Rome.
Dans
les Res Gestae on insiste plutôt sur la sauvegarde des
institutions républicaines qui en effet continuent à fonctionner
sous Auguste bien qu'elles ne soient qu'une fiction d'une
préservation ou restauration de la République (voir chap. 8. 1,2;
chap. 9. 1 ; chap. 10. 1; chap. 11; chap.12.1). Le sénat subsiste, à
toujours un rôle central tout en ayant une influence politique
rognée. Auguste a en fait la main mise sur le sénat, dont il influe
sur son fonctionnement en nommant lui-même des postes de gouverneurs
pour réorganiser ou plutôt organiser l'empire. Ce que bien sûr,
dans les Res Gestae, le princeps passe sous silence, préférant
mettre en avant les charges et honneurs qui lui sont octroyés par le
sénat lui-même. Au chapitre 8. 1,2, Auguste rappelle sa révision
de la liste des sénateurs, la Lectio senatus, par la suite
les sénateurs lui accordent le titre de princeps senatus. Les
sénateurs rayés de la liste étaient ceux qui avaient été nommés
par les triumvirs, possiblement hostiles à Auguste ou ne remplissant
pas toutes les conditions pour pouvoir siéger au sénat. Le cursus
honorum lui-même est au fur et à mesure sous la houlette de
l'empereur qui peut coopter certains candidats à la magistrature
bien que les élections soient toujours le principe électif
principal pour cette investiture. Le chapitre 7. 1, où Auguste se
présente comme le refondateur de la République et prince du sénat
tout en passant sous silence la caractère spécifique de cet honneur
car non seulement Auguste se place alors comme "Premier des
citoyens" et premier des sénateurs ayant donc atteint les
honneurs les plus élevés, qui a prééminence sur le sénat et qui
est donc celui qui dirige la politique romaine. Il y a donc
accumulation des pouvoirs par une seule personne. le culte qui lui
est conféré de son vivant marque aussi un détachement par rapport
aux rites républicains (chap. 10. 1) le nom d'Auguste inclus dans
l'hymne salien, son surnom d'Augustus, ainsi que la
célébration de son genius par le sénat qui en 12 av J.C.
décide de l'unir au culte des Lares. La paix du règne du princeps
est aussi mise en avant et donne l'occasion à Auguste de se poser
comme un pacificateur, ayant rétablit la paix après les guerres
civiles et établissant la concorde entre les citoyens au sein de la
cité. Idéologie du pouvoir de l'empereur sensé initier l'idée que
le princeps et le principat garantissent la paix et donc rendent
légitime la forme spécifique de gouvernance qu'elle requière. Au
chapitre 13, Auguste fait mention que sous on règne les portes du
temple de Janus, signifiant que la cité est en paix, ont été
fermées à trois reprises, en 29, 25 et 10 av J.C., ce qui n'avait
été effectué qu'à deux reprises avant lui dans l'histoire
romaine. Autre fait marquant est la ara Pacis Augustae
romaine, monument devenu un culte construit à partir de 13 av J.C.
sur le champ de Mars, sous l'initiative du sénat pour symboliser le
retour de l'empereur le 4 juillet d'un voyage de trois ans en
Occident, et qui est dédié le 30 janvier av J.C. qui est le jour
anniversaire de Livie. Il faut bien avoir à l'esprit que la "paix"
est surtout dans l'Urbs et non dans l'empire romain marqué
par différentes conquêtes plus ou moins faciles comme par exemple
le désastre de Varus en 9 apr. J.C. mais elles sont le plus souvent
victorieuses et qu'Auguste magnifie tout comme le traitement accordé
aux vétérans de terres après leurs service dans l'armée ou encore
ses dépenses en blé en direction de la plèbe frumentaire ou de
rétributions des soldats, différentes constructions ou
restaurations de monuments comme la Curie ou le Chacidium, le temple
d'Apollon, celui de Jules César son père adoptif, etc. On y a vu un
ordre chronologique des distributions mais aussi un ordre en
importances de rang (Weber 1936, Kobbe 1939) entre plèbe urbaine et
romaine et colonies de vétérans et citoyens romains, avec en
dernier la plèbe frumentaire.
On
peut constater aussi la mise en lumière de la part des rédacteurs
et du princeps de l'effort fourni par celui-ci dans la restauration et
construction de lieux culturels et cultuels ou simplement
d'infrastructures de la ville. Ainsi au chapitre 20. 1. le Capitole
et le théâtre de Pompée sont restaurés, de même que le théâtre d'Apollon, des aqueducs, achèvement du Forum
Julium ou encore une basilique ou plus ambitieusement la restauration
en 28 av. J.C. de quatre-vingt-deux temples cultuels. L'énumération
des jeux offerts par le princeps constitue aussi une manière de
montrer l'étendue de ses libéralités, d'une continuité avec
certaines traditions républicaines comme les jeux séculaires dont
ceux de 17 av. J.C. avaient été appelés les cinquièmes car ces
jeux étaient célébrés tous les 110 ans. Il est intéressant de
voir qu'Auguste organisa aussi le 12 mai av. J.C. une naumachie qui
devait reconstituer la bataille de Salamine entre Athéniens et
Perses et qui était une dédicace au temple de Mars Ultor. Le
chapitre 34 est décisif dans la légitimisation du principat et de
la justification des actes de son règne et la mise en place d'un
pouvoir absolutiste voulu par le peuple et le sénat et qui doit être
regardé comme la seule manière de pouvoir mettre un terme aux
guerres civiles. C'est aussi l'avenir qui est préparé derrière par
là même occasion. Avenir dynastique des Julio-Claudii sur le
trône de l'empire et dont Tibère est le plus proche, au soir de la
vie du princeps, d'y être intronisé. Auguste parle de "pouvoir
absolu" qui a été passé à" la libre décision du sénat
et du peuple romain", il se place donc dans la volonté du
peuple et des institutions, il est donc foncièrement légitime et ne
être remit en question sur la place qu'il a occupé dans la vie
politique romaine. Lorsqu'il rappelle par cette phrase "Dès cet
instant, je l'ai emporté sur tous en autorité, mais je n'ai jamais
eu de pouvoir légal supérieur à celui de chacun des autres
magistrats, mes collègues.", Scheid dans son commentaire du
paragraphe saisit bien que d'un point du vue formellement
institutionnelle, Auguste n'occupe pas une place plus importante que
les autres (Agrippa ou Tibère) dans la magistrature ou de l'imperium
il est était au-dessus d'eux quant au prestige que représentait
sa personne. Jusqu'au bout Auguste à suivit si l'on peut dire les
recommandations du De officiis de Cicéron ouvrage concernant
le bon exercice du pouvoir et dans lequel la tyrannie était
formellement proscrit, privilégiant avant tout une politique centrée
principalement sur le gouvernement et l'administration des
entreprises civiles plutôt que sur ceux concernant le militaire
(Testard). Auguste a été, on en doute plus aujourd'hui, influencé
par les prescriptions de cet ouvrage qui a sûrement aidé à
conceptualiser le genre de régime que l'on nomme le Principat.
J. Scheid,
Res Gestae Diui Augusti. Hauts
Faits du Divin Auguste, Paris, Les Belles Lettres 2007, 560 p.,
49,70 euros