mercredi 29 avril 2015

Roger Munier, Le Visiteur qui jamais ne vient (1983)

Roger Munier, qui nous a quitté en 2010, était à la fois écrivain, traducteur, critique, philosophe de grande qualité tout autant que poète dont la prose, naturelle et limpide, ne perdait rien à la profonde pensée dont elle découlait. Poète et penseur de l'absence, inspiré par Heidegger son maitre, le recueil que je présente ici pourrait rejoindre cette fameuse phrase de Wittgenstein lors de sa présentation du Tractatus le philosophe autrichien ne manque pas de dire que le plus important dans son ouvrage est justement ce qui n'est pas dit, c'est-à-dire la présence de la forme du non dit dans ce qui est dit. Le Visiteur qui jamais ne vient, publié en 1983, est marqué par l'absence, par la présence absolue de cette absence. Le Visiteur est cette obsession de l'homme, une attente sempiternelle qui s'illumine comme le dit Munier, par le fait d'attendre. Et la pensée nait du voilement de la réponse, de l'opacité du réel qui ne dévoile pas ce qu'est le mystérieux Visiteur. Je tiens à dire que je ne suis pas un adepte du rien, je récuse même le rien que je vois comme une illusion grammaticale. Dans les Préludes à l'Esthétique du paraître je stipule que justement, il y a toujours quelque chose au bout du compte et que l'Absence est pleine Présence dans tout ce qui est. Penser le rien c'est penser l'absence de toute chose mais ce n'est pas penser le possible qui, si l'on stipule comme Munier que l'être succède au rien, doit porter en soi l'existence de quelque chose. Ma mort porte a me réduire à rien, mais l'essence de l'existence? Il faut s'interroger sur cette prégnance du néant chez Munier, de cette fascination pour l'anéantissement de l'être, de sa disparition dans le Tout. Mais le mystère de ce qui existe chez Munier est partout, il est ou adopte la forme même de tout ce qui existe. La chose même est Tout, qui n'est pas : la chose. Qui n'est qu'en n’étant pas la chose. La pierre est Tout qui n'est : la pierre qu'en se voilant de soi./Mais cela, tu l'atteins en atteignant : la pierre. Car le voile est la pierre même, si la pierre n'est que le voile. Il est la chose même si la chose est le voile. Car elle est voile, mais de soi. (p. 14) L'homme se donne le sens du monde, il fait le sens, le sens vient de lui, il a cette volonté de sens qui ne s'épuise qu'en étant comblée. La pensée ne peut comprendre ce qui est fermé en soi pour sa compréhension. Elle ne peut résoudre le mystère de l'absence, car ce mystère est le contraire de la pensée, et ne peut se laisser comprendre à cause de son opacité qui est contraire à l'ouverture de la pensée. Parole inentendue, mais prononcée. Reçue comme inentendue, mais prononcée. (p. 20) La goutte ne sait pas qu'elle est goutte puisqu'elle est dans la mer. Mais, goutte, elle ne sait pas non plus la mer. (p. 20) La pensée perdue dans la pensée n'est pas dans ce qui n'a plus besoin de penser, dans l'absolu de la réponse qui anéantira le besoin de penser, cette nécessité de la pensée, son essence. L'homme voit et ne voit pas. Il est de trop pour vraiment voir et pourtant il est modelé aussi par ce qu'il ne peut connaitre, ce qu'il ne peut voir. Il est attiré par le silence de l'absence, et il n'arrive plus à lui donner un nom qui correspondrait à une présence certaine. L'homme de Munier est l'homme sans Dieu qui cherche à dire quelque chose qui est au-delà de l'apparence. Munier semble ne pas voir l'expression de l'inexprimable dans ce qui est dit. L'absence se fait présence dans le discours sans qu'elle soit exprimée explicitement, elle se montre. Le rien se montre donc. Le Nom, le seul Nom existe peut-être parmi les noms, mais on ne saurait l’écrire ou proférer comme le seul Nom. (p. 31) L'Absent se sait lui même et reste silencieux, les choses du monde que nous nommons sont le reflet de ce silence, de cette absence.

     Peut-on dire Munier optimiste au chapitre IV? Le terrible n'est pas le néant, l'abîme. Ce n'est pas que peut-être il n'y a rien, qu'il y a le Rien, mais qu'au contraire, en dernière et fatale instance, au fond, à l'extrême qu on ne peut éluder, il y a. (p. 33) Je ne suis pas convaincu par sa notion du réel qui est opposée au possible, qui est la chose effectivement là et qui risque de s'éroder par le possible. Le temps se fait impossible chez les êtres, les êtres sont posés là et font le temps, créent le temps, mais le temps n'est rien en lui-même, sans les êtres. Là et nulle part ailleurs, les êtres sont des vides en puissance, le réel ainsi se vide par lui-même, en mutant, en mourant là. Hors du temps comme elle est, de l'espace, la réalité du réel est peut être l’éternité. (p. 37) L'Absent est toujours venu, toujours présent au point qu'on ne peut le savoir venu. Le rien n'est pas autre. Il est vide lié à l'apparence, sa découpe, son manque. (p, 42) Le rien là est l'impossible, la négation. Pour Munier le mouvement amène la variété, le perpétuel changement, il n'y a pas d'éternel retour du même, tout change et ne reste jamais la même chose, égale à elle-même et ce même pour le rien. Il y a plaisir dans la finitude, l'anéantissement, L’âme subsiste après la mort, mais ne vit plus. C'est son délice, qu'elle attendait.(p. 45) Car la mort est le véritable repos en soi. Peut-être est-ce la véritable condition, celle qui garde le désir éternel, qui ne veut aller nulle part, ne rien savoir car sachant à présent. Cet Absent présent est pour Munier un entre-deux, partagé entre une chose et quelqu'un Derrière, profondément derrière et enfoui : Quelque chose, mais qui serait comme Quelqu'un. Au point de rencontre, à la frontière indécise qui sépare quelque chose de quelqu'un. (p. 57) Les choses, les êtres, sont toujours plus qu'eux mêmes, ils sont le voile d'une chose qui fini toujours par avoir raison de l'existence. L'existence est impuissante face au rien, face à l'Absent qui a cette force de désintégration dans le néant, vers l'annulation du monde. Mais c'est l'éternité qui doit avoir raison de la vie des êtres, des choses. L'Absent est là car il achemine le monde vers ce qu'il est pleinement, c'est-à-dire le rien, le néant, et ainsi retrouver le rapport au néant qui était inopérable par la présence de l'être et du monde. 

Au final, c'est un livre d'une belle poésie et qui donne pleinement à méditer sur la finitude, l'être et son contraire en nous et hors de nous.

Roger Munier, Le Visiteur qui jamais ne vient, éd. Lettres vives, Nouvelle gnose, Paris, 1983, 60 p.

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