
Le recours à la mer est le recours au divin, à la chute sur terre des dieux, elle est donc un vestige du ciel, du paradis perdu dans notre monde. Mais les dieux sont morts, ils ne vivent encore un peu que dans nos rêves de pierre, la mer du ciel est trop lointaine, les dieux sont trop peu véridique pour apaiser nos tourments. Il ne resta bientôt de la croyance que le souvenir de sa couleur (p. 59) Pour Maulpoix, l'absence de croyance du monde moderne s'identifie à la pâleur du souvenir, à la candeur d'un âge révolu de l'homme qui a perdu la couleur de l'émerveillement, du sacré, de la transcendance de l'être. Le désenchantement s'arroge le droit de dire ce que l'homme doit à présent espérer, c'est-à-dire plus grand chose. L'homme est alors comme une chair déjà morte, qui erre sur terre l'œil rivé sur la mélancolie des étoiles. Le bleu est une couleur propice à la disparition (p. 67). Le bleu pour Maulpoix est la couleur qui attire à soi, enfonce, noie l'être sans qu'il s'en rende compte. L'homme meurt de la chair et ainsi délivrant l'esprit de son enveloppe qui pourrissait sa pensée. En fait, le bleu veut regagner les cieux, être vraiment lui-même dans sa teinte la plus éclatante. Il vit sur la ruine de l'homme, prospère par cela. Le bleu semble aussi vouloir accomplir un besoin métaphysique de l'homme, lui procurer une sorte de réponse à son questionnement existentiel, pour un moment tout au moins. Maulpoix voit dans le bleu le créateur du monde, du monde visible et vécu par l'homme. On pourrait dire que le bleu est l'acte de vie des choses, cet amour de la création dans la nature, dans les œuvres de la nature humaine. Mais en même temps le bleu assassine, détruit et s'accroît dans la destruction. Ange ou démon, le bleu souffle le vent de son ambivalence sur les êtres. La morale de Maulpoix est un constat sur les chimères de l'homme, sur ses passions qui le ronge intérieurement. C'est cette morale qui se fait conseillère, utile, Dresse-toi sur tes faiblesses autant que sur tes forces : ne resiste pas à celui que tu es (p. 94). Les mots sont les derniers restes de l'homme contre le bleu de la mer qu'il doit combattre, en varier la teinte. Mais l'homme semble combattre en vain, il se noie toujours devant la mer indestructible. Maulpoix sent bien l'absurdité de la position de l'homme, qui se perd en voulant se sauver dans la nature du bleu qui est si prégnante dans son existence, comment peut-il être vainqueur?
Tout ce que j'ai aimé, tout ce que j'ai perdu, avait le goût de mon enfance. (p. 111). Enfance que le poète cherche à ressaisir la mauvaise mémoire. Enfance qu il dit presque sans figure et qu il ne peut plus sur la page que simplement pressentir sa finitude et la dissolution de la chair dans la terre. L'enfance retrouvée, revécue est donc impossible. Le poète ne peut écrire véritablement que sur la seule idée point trop folle pour la quelle on puisse avoir encore le goût de vivre. (p. 121) celle de la mort, l'idée mère. Orphelin de son enfance, le poète se réfugie dans la mort comme allant vers sa mère. La mort nous apprends ce qu'est la vie et ce qu'il reste à dire de nous sur le papier. La mère est ce langage des jours, ce mouvement de désir du souvenir de l'enfance, des histoires racontées et le fatal horizon de la réalité présente. Le style de Maulpoix, comme le signale Antoine Emaz dans la préface, est une prose qui manie avec cohérence l'écriture théorique et poétique. Une éloquence sobre qui regarde et qui juge, critique, constate. Il y a cette dichotomie séculaire entre le rêve et le réel, le monde dans son âpre instinct du réel, sa langueur où l'absence d’idéal est le moteur selon Emaz d'une tension assourdie (p. 23), milieu où le sentiment déchiré, la fêlure du cœur se dissimule derrière une mise à distance qui s'apparente à un bruit sourd, sans crie, sans alarme, comme résigné dans la souffrance. Le lyrisme de Maulpoix est autant exploration que méditation avec cette pureté qui assemble le sacré avec la pathétique du quotidien du monde moderne, de la déchéance de la croyance que l'homme veut retrouver. Ce qu'il faut découvrir de Maulpoix est sa plainte de derrière la fenêtre.
Jean-Michel Maulpoix, Une histoire de bleu, Poésie/Gallimard , 2005, Paris, 256 p.
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