lundi 11 mai 2015

Notes sur Le Poème de Parménide (partie I)

On peut dire que la philosophie occidentale commence par Parménide, ou en tout cas, par les présocratiques. Parménide est le philosophe de l'être, Héraclite celui du devenir. Jean Beaufret a vu dans la première philosophie de Parménide l'influence de la philosophie d'Anaximandre, le père Grec du ἀρχή et d'une forme de doctrine de la permanence de l'être, de la chose inengendrée. Philosophe de l'être, Parménide est aussi le philosophe du non-être posé comme ce qui ne peut se dire, qui ne peut se connaitre, qui est impossible à concevoir mais que cette inconcevabilité même est un chemin à considérer. Le Poème de Parménide est une sorte d'initiation à la Vérité par une déesse à un apprenti philosophe que l'on peut considérer comme Parménide lui-même. La déesse par sa parole instruit l'apprenti tout d'abord par deux voix, premièrement celle de la vérité et deuxièmement celle des mortels où l'on ne peut se fier à rien de véridique qui soit véritablement la connaissance de l'essence des choses. Il faut bien signaler ici que cette parole de la déesse fait office d'ouverture à la vérité complète sur l'être donc du dévoilement sur la Vérité dans le royaume où réside la déesse, garante de cette Vérité car étant sans que le poème le mentionne symbole de la Vérité. Jean Beaufret, avec une remarquable acuité, a bien vu le retranchement de la Vérité par la distance que la déesse prend en n'étant que parole et qu'elle n'apparait pas comme était apparut l'attelage au galop guidant le philosophe ainsi que les portes aux gonds garnis de cuivre ou encore les Filles du Soleil au fragment I. La parole de la Vérité est accomplit donc que par l'acte de nommer ce qui est au-dessus d'elle, c'est-à-dire la vérité même. Mais il faut remarquer que la déesse accueille le philosophe en lui prenant la main avant de lui adresser la parole. La déesse après cela se fait juste parole, rien que parole, sans qu'il y ait vision même de la déesse. Mais passons au vif du sujet.

     L'être de Parménide est l'être inévitable car, il n'y a que l'être au monde qui perdure en son principe et en son corps dans une totalité qui se déploie. L'être est permanence de sa présence car on ne peut concevoir son engendrement. Le non-être, le néant, se trouve alors dépossédé de son droit de signification objective dans l'être. Le Même est le déploiement concomitant de la pensée et de l'être. La transcendance de l'être, son perpétuel déploiement, se fait par l'unité de la pensée et de objet et est donc déploiement noétique de la conscience transcendantale. Ce qui se donne à la représentation est donc ce lien originel et étroit, corrélatif, entre le penser et l'objet dans le Même. L'absence d'un objet ne contrecarre en rien la permanence totale de l'être, mais absence est toujours présence de l'essence de l'être. Il est en son intériorité infiniment ouverture en son sein. La nature de l'être est circulaire, la présence de l'être n'est pas infinie mais totale présence dans l'atemporalité de son être-là. Le fragment V par exemple Ce m'est tout un par où je commence, car là même à nouveau je viendrai en retour. (p. 81) en est éclairant. L'étant est dans le temps et non l'être. L'être est donc une absolue présence car il est le cadre de la manifestation de l'étant. Il maintient sa présence par l'inéluctabilité de son principe. Il n'y a pas de possible de l'être mais possibilité de l'être d'un étant. L'être en tant qu'être n'est donc pas un devenir car il est toujours pareil à lui-même. Perception et penser sont une seule et même chose par l'unicité du Même. Il y a l'expérience transcendantale de ce penser dans l'ouverture initiale de l'être au fil de la génération des étants. Il y a toujours l'objet qui se présente substantiellement à la pensée. Mais l'être reste un mystère, un voilement qui reste hermétique dans son ouverture. Comme l'a souligné Beaufret, les Grecs accordent un sens privatif à la vérité plutôt que positif. La vérité se dérobe à l'homme dans un voilement que la parole ne peut découvrir par le langage, qui ne peut se dire.et que ce qui est dévoilé est conditionné par cette privation de la vérité. Et découvrir la vérité c'est aussi découvrir le non-dévoilement, découvrir la nature privative de la vérité. C'est le non-dévoilement se dévoilant, qui est selon Beaufret, ce qu'il y a de plus radical dans sur les agissements et manifestations de l'étant. Hum...Ceci n'est pas sans me rappeler le Tractatus et pourrait rejoindre en quelque sorte une description de la nature de l'éthique comme domaine situé hors du monde perçu et qui ne peut se dire, on peut aussi voir ce que dit Wittgenstein dans sa Conference sur l'éthique à une différence près que le non-dévoilement est présence au monde mais ne peut se dire, il est indicible tout comme la mystique wittgenstenienne. La nature de la vérité chez les Grecs est donc très particulière par rapport à la propre définition de vérité qui a lieu dans le monde moderne. Beaufret, pour souligner que le non-dévoilement est aussi positivité, recours à Heidegger qui a commenté cette question en ces termes c'est parce que, pour les Grecs, le non-dévoilement qui se voile lui même étend initialement son règne dans le déploiement de l'être, et détermine ainsi la présence et l'accessibilité de tout étant le nom qu'avaient les Grecs pour ce que les Romains nomment veritas et nous vérité est pourvu d un ἀ privatif (ἀ-λήθεια) qui le signale en propre (p. 12). C'est donc grâce au non-dévoilement que nous pouvons accéder à la connaissance de l'étant par l'acte de dévoiler par son déploiement arraché au non-dévoilement qui est occulté par le surgissement hors de la λήθη (oubli, privation). La connaissance du monde de l'étant se fait sur le voilement de la connaissance de l'essence de l'être. L'alètheia, qui est le terme grec de dévoilement, contient en lui le privatif d'où est sorti l'étant pour être, et l'étant par son être propre, a laissé derrière lui le privatif, le non-dévoilement. Dans la vérité des Grecs, il y a cette coordination de deux opposés, le vrai et sa négation, dans le même acte de dévoilement et de retrait. Mais... Cela reste à approfondir dans une seconde partie.

Jean BEAUFRET,  Le poème de Parménide, Paris, PUF, 1955.

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