mardi 3 octobre 2017

Le trésor des humbles (1896), de Maurice Maeterlinck

 Quelle est la vie de l'âme? On s'interroge encore, et ce, depuis des siècles et des siècles et pourtant, mais comme il est spécifié dans le livre de Maeterlinck, il ne faudrait rien dire, rien dire jusqu'à la fin des siècles. Comme il ne peut rien se dire du destin d'un amour éternel, des traits bouleversants de l’extase de la Madeleine de Caravage, de l'antique beauté de la liturgie romaine, de la musique de Bach, des regards échangés de deux amis, du pressentiment du destin d'un être, de chaque être, etc. L'âme peut se poser en toute chose, se nourrissant essentiellement d'elle-même, elle engage pour l'être humain ce chemin gorgé de lumières et d'abysses où l'on semble se perdre seulement pour s'ancrer sur l'infinité du lieu où tous les mondes possibles de l'être peuvent s'engendrer, où le Moi n’entrouvre ses entrailles à l'esprit que pour lui faire sentir qu'il n'est qu'un trait particulier de l'âme plongé dans une obscurité qui n'est que le reflet de lui-même. Pour appréhender ce lieu, notre auteur nous fait bien comprendre qu'il faut être adepte du silence, un disciple du silence, un martyr festif du silence, de cette parole qui est le vrai dire de l'âme et qui recèle sa vie même, sa manifestation ordinaire, sa présence inéluctable.  La vraie communion des âmes se fait par et dans le silence, cette lumière des êtres qui dépasse toutes les manifestations consciente de notre nature.

"Rien n'est visible et cependant nous voyons tout." dit Maeterlinck dans le chapitre Les avertis. Personnellement, je dirais l'inverse de cette phrase : tout est visible et cependant nous ne voyons rien. Tout est posé devant nous, nous voyons, mais savons-nous vraiment ce que nous voyons? Il faudrait sentir, intuitionner, au-delà de la pensée et du langage l'origine et le destin de chaque chose vue. Le silence doit être une révélation à la vision et non une opacité du mystère, à l'étrangeté de soi ou d'autrui. Et Le trésor des humbles (1896), ce livre de la permission à l'au-delà de la pensée, de la splendeur des abysses indescriptibles de la vie de l'âme, de l'angoisse de l'infinitude de la beauté, nous aide à tâtonner, ici et là, dans le gouffre indicible de nous-même. Ce livre a certains accents d'un autre esprit très pénétrant de la vie de l'âme, je fais référence à Gustave Thibon et à des ouvrages comme Ce que Dieu a uni où les ressorts les plus mystérieux et profonds de la nature humaine sont appréhendés sous l'angle d'une pensée chrétienne.

Je propose ici quelques extraits tirés du livre de Maeterlinck et propices à méditations:

"Nous vivons à côté de notre véritable vie et nous sentons que nos pensées les plus intimes et les plus profondes même ne nous regardent pas, car nous sommes autre chose que nos pensées et que nos rêves. Et ce n'est qu'à certains moments et presque par distraction que nous vivons nous-mêmes. Quel jour deviendrons-nous ce que nous sommes?" (p. 47)

"Il est certain que les relations naturelles et primitives d'âme à âme sont des relations de beauté. La beauté est le seul langage de nos âmes... Elles n'en comprennent pas d'autres. Elles n'ont pas d'autre vie, elles ne peuvent produire autre chose, elles ne peuvent pas s'intéresser à autre chose. Et c'est pourquoi, toute pensée, toute parole, tout acte grand et beau est immédiatement applaudi par l'âme la plus opprimée et la plus basse même, s'il est permis de dire qu'il y ait des âmes basses. Elle n'a pas d'organe qui la relie à un autre élément et elle ne peut juger que selon la beauté. Vous le voyez à chaque instant dans votre vie ; et vous même, qui avez renié plus d'une fois la beauté, vous le savez aussi bien que ceux qui la cherchent sans cesse dans leur cœur." (p. 175)

"Or, ne l'oublions pas, nous sommes ici sur des montagnes où s'ignorer n'est pas tout simplement ne pas savoir ce qui arrive en nous quand nous sommes amoureux, timides ou envieux, heureux ou malheureux. S'ignorer, où nous sommes, c'est ignorer ce qui se passe de divin dans les hommes. Nous sommes laids quand nous nous éloignons des dieux qui sont en nous ; et nous devenons beaux à mesure que nous les découvrons. Mais nous ne trouverons le divin dans les autres qu'en leur montrant d'abord le divin dans nous-mêmes. Il faut que l'un des dieux fasse signe à l'autre dieu ; et tous les dieux répondent au plus imperceptible signe." (p. 180)

"Je disais tout à l'heure qu'elle transforme en beauté les petites choses qu'on lui donne. Il semble même, à mesure qu'on y songe qu'elle n'ait pas d'autre raison d'être, et que toute son activité s'emploie à réunir au fond de nous un trésor de beauté qu'on ne peut pas décrite. Est-ce que tout ne se changerait pas naturellement en beauté si nous ne venions pas troubler sans cesse le travail obstiné de notre âme?" (p. 182) 

Maurice Maeterlinck, Le trésor des Humbles, Grasset, coll. Les cahiers rouges, 2008, 196 p.


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