lundi 18 septembre 2017

André Gide, Morale chrétienne, Journal, 1896, pléiade, p. 96

"Je m'étonne que le protestantisme, en repoussant les hiérarchies de l'Église, n'ait pas repoussé du même coup les oppressantes institutions de saint Paul, le dogmatisme de ses épîtres, pour ne relever plus que des seuls Évangiles. On en viendra bientôt, je pense, à dégager les paroles du Christ, pour les laisser paraître plus émancipatrices qu'elles ne le paraissent jusqu'alors. Moins ensevelies, elle paraîtront plus dramatiquement, niant enfin la famille (et l'on s'autorisera de cela pour la supprimer), tirant l'homme lui-même de son milieu pour une carrière personnelle et lui enseignant par son exemple et par sa voix à n'avoir plus de possessions sur la terre, plus de lieu où reposer sa tête. O avènement de cet "état nomade", toute mon âme te souhaite! où l'homme, sans foyer clos, ne localisera pas plus son devoir ou son affection que son bonheur, sur tels êtres./J'ai beau lire et relire l'Évangile, je ne vois pas une seule parole du Christ dont se puisse fortifier, et même autoriser, la famille, le mariage. J'en trouve au contraire qui le nient... "C'est à cause de la dureté de vos cœurs...", dit le Christ parlant des anciennes lois éducatrices de Moïse sur le divorce, qu'impliquaient celles du mariage. La levée de chaque disciple est enlèvement à sa famille; par respect filial, l'un d'eux veut, avant de suivre Jésus, ensevelir son père : "laisse les morts ensevelir les morts", lui dit le Maître. "Qui est ma mère et qui sont mes frères?" répond-il lorsqu'on lui dit que sa mère et ses frères sont venus pour le voir, et montrant tous ceux qui l'écoutent : "Voilà, ajoute-t-il, voilà ma mère et mes frères."

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire