vendredi 8 janvier 2016

Novalis, Le brouillon général (1798-1799)

 《 408. Encyclopédistique. Plus les lois sont simples, plus elles sont difficiles à appliquer. La simplification par conséquent ne favorise pas la paresse, elle est plutôt, comme l'État, etc., un moyen d'éveiller l'activité supérieure la plus complexe - le stimulus supérieur. Le principe suprême éveillerait et rendrait nécessaire l'activité supérieure. 》Novalis, Le brouillon général.

Quelle expérience étrange et fabuleuse que de lire pour la première fois les premières pages du Brouillon général de Novalis. Surtout pour un esprit qui, par une quelconque grâce efficace, n'accorde pas au rationalisme le plus monolithique l'apanage de l'exercice de ce que ne nous appelons "penser". Novalis est pour moi aussi philosophe que poète, bien que le dénominatif de "poète" chez cet écrivain prend une dimension toute particulière et fondamentale. Le contexte y est aussi pour beaucoup, plongé au sein du premier romantisme allemand et du fameux cercle d'Iéna, à l'édification d'une "théorie" de l'écriture romantique sous l'égide des frères Schlegel et de leur revue qui connaîtra qu'une brève existence l'Athenaeum (1798-1800). Novalis se trouve alors au centre d'un bouillonnement intellectuel dont il est l'un des moteurs malgré son jeune âge.

     Mais Novalis est à part, ailleurs, plus loin, plus éthéré et en même temps terriblement sur terre, sur toute chose. Sa pensée est alors le court limpide où s'ouvre la modernité. Et le fragment cher aux romantiques, en est l'accomplissement expressif le plus pertinent. Le brouillon général regroupe les pensées que Novalis jeta sur le papier une heure deux chaque matin entre l'automne 1798 et le printemps 1799. Brouillon d'un projet de bible scientifique ou comme il le souhaite d'une encyclopédistique cherchant à rendre compte de toutes les combinaisons possibles entre toutes les disciplines possibles, philosophie, art, mathématique, théologie, médecine, minéralogie, littérature, cuisine, mécanique, etc. s'inspirant de l'art combinatoire de Leibniz afin de faire éclater la pensée, d'essayer d'en épuiser toute la puissance créative dans une "science du tout" ou d'un système d'absence de système, qui serait le propre de la pensée de dieu. Et il faut bien dire que Novalis pousse les modes intellectuels jusqu'à l'excès tout en ne plongeant pas l'incongru ou l'absurde. À une telle lecture on pourrait se sentir quelque peu perdu, désorienté, voir perplexe et sûrement éblouie par les jeux d'analogies, de suggestions originales, d'un chaos respectant le principe directeur de la fusion, de l'accommodation entre les concepts, les idées, etc. Plus de deux-cents ans après, Novalis me paraît d'une singularité surprenante, idéale même. Trop poète diront certains et il faut l'entendre. Mais pour à mon avis il fallait qu'il le soit pour pouvoir inspecter avec une acuité aussi particulière le langage de la nature. Seul le poète peut donner une telle harmonie au langage de la nature, celui qui purement artiste, langage de l'esthète, du créateur plus que du scientifique ou du purement philosophe. Langage de l'infini, de la permutation, de l'instable, du changeant, de l’éclectique. Novalis est en cela à l'opposé de l'encyclopédie de Diderot et d'Alembert fonctionnant comme une mise en ordre raisonnée des savoirs.

     Le brouillon général est donc une sorte d'expérience générale sur le savoir et de ce que ce même savoir peut receler de plus universel dans l'exercice de sa multiplication, sa dislocation et son caractère pluriel ainsi que dans sa partie la plus inconnue, mystérieuse. Et Olivier Schefer, traducteur et commentateur passionné du poète, nous éclaire très bien sur l'enjeu de l'encyclopedistique novalisienne, qui est de faire apparaître la vérité au fil des divers combinaisons et non de la définir comme un objet clos enfermé dans une œuvre ou un système et qui ne pourrait souffrir une quelconque distorsion de son discours sans perdre son authenticité. Ce livre est à lire avec attention et ouverture d'esprit, et doit être absolument relu pour en tirer toutes les richesses qui ne sont sûrement pas perceptibles une première fois. Je finirai par cette phrase de Maulpoix tirée de Qu'est-ce que la poésie?《 Où la philosophie définit des concepts, la poésie découpe des objets de langue où se renouvelle notre entente du réel, du sujet et du langage. 》

Novalis, Le brouillon général, trad. Olivier Schefer, Paris, éd. Allia, 2e edition, 2015, 368 p., 22€

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