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Claude Esteban, (1935-2006) |
Ne crie pas, non, ne/crie pas, si tu cries, quelque chose/va mourir, peut-être un arbre ou le souvenir du soleil/un après-midi d'été sur une pierre et ta main, juste au bord/se réchauffant, si tu cries, c'est un insecte en moins/dans l'herbe jaune, la peur qui s'insinue partout, le cri/comme un poignard, forçant la gorge.》p. 101.
Le titre du recueil dit déjà presque tout《Morceaux de ciel, presque rien 》. Cette réduction, cette miniaturisation de l'espace vécu, des éléments, des personnes, inoculant au lecteur le sentiment d'une course à la vie qui se perd ou qui serait déjà perdue d'avance, invariablement rattrapée par la mort, le néant, la disparition, l'effroi de cet instant tout peut faire basculer, sombrer dans l'abîme. Cet abîme qui renferme l'espace éternel des songes des hommes, des peuples. Entre le cri, le délire et l'attente des êtres dans le court de la vie, il y a cette attention à la durée déjà trop longue, trop absurde, de nous-même, où tout s'éternise. Ou alors est-ce l'impatience du poète qui fait molester le monde pour une soif de disparition, pour le désir d'un éclat qui n'arrive pas à venir. Peut-être l'influence d'un Edward Hopper, de sa peinture stylisée qui veut franchir une frontière du paraître où se mêle le connu et l'inconnu, la terre et l'abîme. L'insondable étrangeté de ce qui est là, devant nous, senti par nous, sans que nous arrivions à le saisir très exactement par le signe. Et ceci se couple avec une poétique de la spatialité, du visuel, d'une attraction au regard, à la découpure, la césure où la voix devrait s'affirmer et chanter cette《 partition orchestrale》. Le chant et le sentiment qu'il doit s'en dégager arriverait peut-être à rendre raison de cet inconnu du représentable, de cette harmonie entre le dit et la sensation, la musique et le pictural. Où le souffle, ce pneuma de l'âme, infuserait vie à toute chose disparue, rassemblerait, convoquerait le mort car ne l'étant pas vraiment grâce à la voix, au souffle humain, voir divin.

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