L'âme européenne ne doit pas souffrir les divisions culturelles ou ethniques. Elle est le point central du salut de l'Europe et le ferment de sa prospérité spirituelle, intellectuelle et culturelle. Culture et spiritualité doivent être une seule et même chose au sein des peuples du continent. Une union, une harmonie véritable dépassant les antagonismes psychologiques, religieux, ou idéologiques, ou prétendus tels, par certains auteurs ou classes dirigeantes. Le gothique et le classique par exemple, doivent se comprendre dans l'esprit, leurs points communs doivent se trouver dans l'esprit proprement européen qui les a réalisé. En renouvelant la tradition, lui redonnant cette place privilégiée au sein du peuple. PLace qu'elle a perdu depuis tant d'années. Et en rappelant à ce même peuple qu'elle découle d'un ordre naturel des choses bien plus véritable du point de vue moral et esthétique que ce qu'une subversion tirée de la pensée humaniste peut bien nous être donner à voir aujourd'hui.
"Quand les Français ne s'aimaient pas, ils ne pouvaient rien souffrir qui fût de leur main, ni de la main de leurs ancêtres : livres, tableaux, statues, édifices, philosophie, sciences. Cette ingratitude pour leur patrie était si farouche qu'un étranger a pu dire que leur histoire semblait écrite par leurs propres ennemis. Ni les arts, ni les lettres, ni les idées ne trouvaient grâce, à moins de venir d'autre part.
"Quand les Français ne s'aimaient pas, ils ne pouvaient rien souffrir qui fût de leur main, ni de la main de leurs ancêtres : livres, tableaux, statues, édifices, philosophie, sciences. Cette ingratitude pour leur patrie était si farouche qu'un étranger a pu dire que leur histoire semblait écrite par leurs propres ennemis. Ni les arts, ni les lettres, ni les idées ne trouvaient grâce, à moins de venir d'autre part.
Le plus haut point de
cette mode se place il y a vingt ans environ. Nos compatriotes se
firent donc beaucoup prier et parfois refusèrent net quand on les
conjura de se garder, de se prémunir, de tenir en état leurs armées
de terre et de mer, car à quoi bon mettre en défense tant de biens
qu'ils n'estimaient pas ? Cependant, peu à peu, on les a vus se
réconcilier avec leur image, et voilà qu'aujourd'hui ils se
feraient hacher pour se délivrer d'un Barbare à qui l'on avait tout
ouvert, même l'État, même l'École, même les têtes dans
lesquelles le pays était supposé penser." Préface,
p. VII-VIII
"J'avoue
que nos anciens eurent le beau malheur de vivre trop heureux. Ils ont
développé leur liberté sous nos rois pendant de longs siècles
paisibles sans avoir jamais eu à subir ces occupations étrangères
qui furent le partage de l'Allemagne et de l'Italie. Quand l'ennemi
essayait de les envahir, ils n'avaient pas besoin des Russes et des
Anglais pour le repousser. La solidité des frontières permettait à
leur méditation de se porter sur de tout autres problèmes, plus
haut dans l'espace idéal, plus profond dans le cœur humain. Cela
explique la réserve d notre littérature classique sur quelques
points sensibles de la vie nationale. Elle n'est obsédée ni par les
conditions de la défense, ni par les lois de la durée.
L'indépendance n'était pas exposée, l'autonomie n'était inquiétée
que de loin en loin : qu'aurait servi la spéculation
là-dessus ? Mais réserve n'est pas absence et, dès qu'on y
regarde de près chez nos maîtres, l'essentiel des plus sûrs
principes est aperçu comme à fleur de sol, prêt à fructifier en
conseils et règles de vie civique. Une politique française est
sous-entendue parmi eux.
Depuis,
notre sort a changé : cinq invasions ont été souffertes dans
les cinq quarts de siècles écoulés à dater de la Déclaration des
Droits de l'homme. Cela est propre à faire réfléchir à d'autres
invasions éventuelles. Les vieux principes implicites de la sagesse
du pays en acquièrent une plus-value considérable. Ce qu'ils ont
d'éternel nous met en état de compter et d'examiner les tires, les
raisons, les fondements moraux de notre nationalité menacée par les
arguments de la perfidie autant que par les coups de force. Bientôt
les théories sublimes d'une France abandonnée et sacrifiée
liturgiquement à l'humanité rencontrera chez nous la même
résistance que les courses et les assauts de von Bulow. Les
principes de la politique classique débrouillent les motifs pour
lesquels ce robuste et sage pays a mérité de vivre, de s'étendre
et de prospérer." Préface,
p. XVIII-XX
"Étions-nous
assez ridicules, voici dix ou douze ans, mon cher Jean Moréas, quand
nous parlions de traditions classiques de la France, de l'esprit et
du goût helléno-latin. M. Brunetière nous répondait fort
doctement que le propre du génie français a toujours été
d'emprunter largement pour restituer au centuple. M Charles Dejob ne
se faisait pas faute d'ajouter à cette doctrine des exemples
appropriés. Chacun nous citait pêle-mêle l'influence d'Aristote et
d'Ovide au moyen-âge, des deux antiquités à la Renaissance, de
l'Espagne et de l'Italie au XVIIe siècle, de l'Angleterre au XVIIIe
siècle, e,fin de l'Allemagne à l'époque du romantisme.
Dans l'étude et dans la
discussion de ces influences, on n'introduisait ni critique, ni
mesure, ni choix. On observait quelquefois le degré de force ou de
durée des importations étrangères, jamais le degré de bonheur.
Si, par exemple, les pays de Calderon ou du Tasse avaient inspiré
des œuvres plus belles que ceux de Pope ou de Schiller, personne ne
pensait qu'on en dût tenir aucun compte. Des critiques subtils
avaient, dans leur riche vocabulaire, deux mots à leur usage :
français, c'est-à-dire né et produit en France ; etranger,
c'est-à-dire né et produit à l'Étranger. Termes absolus, que
l'histoire et la géographie ne tempéraient point. Où était né
Virgile? Ne dites pas en Gaule cisalpine, ne dites pas dans le pays
d'où la Gaule transalpine a tiré le principal de sa civilisation.
Virigle, né hors des frontières de la France de 1789, et ayant
employé un autre langage que les français de 1890, était qualifié
d'étranger au même titre et au même degré qu'Ossian. Même façon
péremptoire de s'exprimer sur Homère et J. Paul Richter, sur
Arioste et sur Milton. Enveloppés du même titre, ces inspirateurs
différents des antiques lettres françaises fournissaient, à eux
tous, une argumentation triomphante aux partisans d'une Macédoine
nouvelle composée de tous les jargons européens." Chapitre X,
Une revue
latine, p.
119-120.
"Qu'on
me pardonne de noter ces échos de notre jeunesse. Ils ne valent
point par eux-mêmes, mais par la suite des événements
intellectuels qui les ont, à certain égard, approuvés et
continués. La mode était, en ce temps-là, aux écrivains et aux
artistes septentrionaux. Sans méconnaître le démon brutal ou
subtil qui les agitait, nous avions soin de dire que ces gens-là
n'avaient que d'assez mauvais exemples à nous donner au point de vue
esthétique et que au point de vue moral ils nous dégradaient.
"L'orgueil d'Ibsen, la pitié de Tolstoï, la frénésie de Swinburne,
l'idéalisme sensuel qui anime toute la philosophie de Wagner, le
tâtonnement de Maeterlinck, toutes ces théories, toutes ces
impulsions qui prétendaient à la conduite des mœurs ou du goût
nous paraissaient dénuées d'ordre et de mesure, nous en appelions
des divagations de l'Europe à la loi d'harmonie qui vole d'onde en
onde sur la face de notre Mer. À l'unique nous opposions le
composé ; à l'amorphe, le figuré ; à l'indéfini, le
fini. Nous voulions rétablir " la belle notion du fini ". " N'exceptions la Divinité, ni même les amours. Ils ont leurs
points extrêmes et au-delà, se dissocient. Définitions
certaines, comme chantèrent nos poètes, et justes confins hors
desquels s'étend un obscène chaos."
"Nous percevions donc clairement, nous exprimions, non sans violence,
quelle laideur se cache sous les formules du sentiment ou de la
politique d'alors. Et nous remarquions le danger public enveloppé
dans cette idylle humanitaire, si doucereuse en apparence. Excès de
sensibilité, répétions-nous. La sensibilité n'est pas une règle,
puisqu'elle est le fait à régler. Et nous ajoutions aussi, pour
d'autres erreurs en cours : excès de rigueur. La règle ne
consiste pas à tuer, à détruire, ni à anéantir le sujet qu'elle
doit, au contraire, développer en le maintenant dans sa voie.
Moralement, politiquement, littérairement se dessinait ainsi une
doctrine de la force et de la discipline naturelle que cette force
doit recevoir pour abonder en elle-même, se multiplier et briller." Chapitre XI, Le tien et le mien dans Nietzsche, p. 127-128.
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